
Particulièrement
depuis l’avènement des militaires au début des années 80, le métissage
inter-communautaire est en chute libre, voire n’existe quasiment plus en
Mauritanie. Une césure majeure dans l’histoire des relations
inter-communautaires entre le fleuve Sénégal et le Sahara. Une mécanique
qui devrait pourtant aujourd’hui être activement rappelée et promue,
pour que les communautés apprennent à se (re)connaître, et se respecter.
Notamment depuis les événements de 1989, mais avant cela initié par
une politique d’état qui a misé sur la division communautaire, la
cohabitation apparaît de moins en moins crédible dans un contexte social
et urbain où une forme d’apartheid cloisonnant est, de fait, de mise.
Pourtant, l’histoire récente (pré-indépendance) et même antérieure à
la colonisation française, est jalonnée de relations inter-ethniques
métissées. « Que ce soit pour des raisons d’alliances objectives entre
grandes familles toucouleures, Soninkés et mauresques; ou des raisons
purement sentimentales » avance Cheikh Saad Bouh Camara, sociologue.
« Le peuple mauritanien est un peuple métissé, et c’est dans le
métissage qu’il trouvera son salut » opine Oiga Abdoulaye, ancien DG de
la Caisse Nationale de Sécurité Social, qui a écrit sur le sujet dans
son essai « Contribution au rétablissement de la vérité sur le
peuplement historique de la Mauritanie ».
Pour étayer cette assertion connue mais oubliée, il rappellera dans
son essai, les liens séculaires qui unissent les Mechdouf et les Oulad
M’Bareck aux soninkés, ainsi qu’aux bambaras. Dans cette continuité,
l’ancien directeur de la CNSS rappelle que les familles des Cheikh :
« Cheikh Mohamed Fadel, Cheikh El Hadrami, Cheikh Saad Bouh, Cheikh Sidi
Bouya, ont pour mère Khadijetou, fille de boubacar Bal, lui-même, fils
du célèbre marabout Souleymane Bal ».
« Le métissage du peuple mauritanien, ne se situe pas uniquement au
niveau interne de ses tribus et ethnies, il est transfrontalier. Il est
illustré par de nombreux cas historiques, dont entre autres, l’union de
Diombott M’Bodj, reine du Oualott M’bodj, reine du Oualo, avec l’Emir du
Trarza ».
Le rejet des autres
Français par son père, et maure par sa mère, Momme Ducros,
micro-blogueur, et chargé de la communication à l’office de
l’immigration mondiale (OIM) sait bien ce que veut dire « métis » en
Mauritanie. Surtout quand une part de son identité est liée à celle de
l’ancien colonisateur. Il souffre encore et régulièrement, des remarques
liées à son métissage dans son propre pays:
« Il ne s’agit pas vraiment de rejet mais d’un mépris, avec une
connotation liée au passé colonial. On me fait des allusions à peine
voilà par rapport à cela. Même dans le monde professionnel, Je fais mine
de ne pas entendre de mauvaises idées dites sous cape. Du genre : »
compte tenu de ses origines, certaines tâches devraient échoir à des
pures souches ». Idem pour les demandes de mariages, de manière
diplomatique on te reproche tes origines. J’ai été gentiment mais
fermement éconduit par rapport à cela. J’ai entendu le terme
« Nessrani » (Nazaréen, en terme péjoratif, avec une connotation
religieuse liée à la mécréance- NDLR) utilisé à mon égard ».
Mokhtar, infirmier à la clinique Kissi de Nouakchott, n’est pas loin
de cet avis. Il va même plus loin, en expliquant comment la plupart des
métis qu’il connaît s’aliène une de leurs identités :
« On a perpétuellement le cul entre deux chaises. Puis on n’en
choisit plus qu’une à partir de l’adolescence. Très peu concilient
positivement leurs deux ou trois identités. De fait, d’un côté ou de
l’autre de ta famille, on te reproche toujours l’une de tes origines.
Par des blagues qui sont sensées faire rire, des paroles dans le dos,
que tu finis par entendre… Être métis en Mauritanie n’est pas une
sinécure de nos jours » témoigne le jeune mauro-peul.
« L’ère des ignorants et des parvenus »
« Malheureusement à l’ère des ignorants et des parvenus, les systèmes
de valeurs ont été inversés. Ce faisant, les gens de savoir qui
auraient pu rappeler étayer, et diffuser ce passé commun ont été rejetés
dans l’arrière-plan social » affirme un vieil homme d’affaires maure
qui a épousé une peule au début de sa carrière.
Cette ignorance a occulté l’histoire familiale d’un Chérif Hamallah
Ould Mohamed Ould Signa Omar, Tidiani, source du hamallisme. « Son père
était un maure, commerçant au Mali, à Nyamani, sa mère une peule. Il a
inspiré foi et spiritualité islamiques à des milliers de maures,
bambaras, toucouleurs » raconte Amadou Hampaté Ba dans son récit
biographique sur son mentor Thierno Bocar, le sage de Bandiagara. Natif
de Mederdra, Chérif Hamallah.
Cheikh Abdoulaye Ndiaye, l’artiste musical plus connu sous le nom de
Bakhan, revendique ce métissage, et en fait le socle de sa musique:
« Je suis tout à la fois, maure, pulaar, soninké et wolof. C’est pour
cela que j’ai toujours cherché à valoriser les cultures mauritaniennes.
Et c’est pour ça que que je rêve de créer une musique mauritanienne
moderne qui transcende les barrières ethniques et les cloisonnements
musicaux. Il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent, que de
sources de divisions. Il faut juste, effectivement, le rappeler aux
gens, quotidiennement, et dans tous les domaines » exhorte le prix RFI
2009.
« Quand le métissage porte ses fruits, et que ceux-ci embrassent sans
complexe et dans leur entièreté leurs origines diverses, alors un
creuset de tolérance, et souvent de talent, se forge. Un peu d’histoire
pré-colonisation ferait du bien aux nouvelles générations » conclut
N’Diaye Hussein Kane, médecin-colonel à la retraite. Il a été le
médecin-traitant personnel de Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Halpulaar de
Tékane par son père, il est également issu par sa mère, de la tribu
guerrière des Oulad El Nassr d’Aïoun.
Mamoudou Lamine Kane
Noorinfo