
Dans la première partie de cet article, l’auteur avait abordé la place
grandissante revendiquée pour la diversité culturelle dans les
paradigmes du développement.
Dans cette seconde partie, il
s’appesantit sur l’apport multiforme que peut apporter cette diversité,
notamment comme parade contre les inégalités.
La parade oubliée ?
Lutter contre les inégalités n’est certes pas le rôle principal
habituellement assigné à la culture. Et pourtant, comme on l’a vu,
celle-ci est de plus en plus sollicitée pour y apporter sa contribution.
C’est ce que le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté-CSLP
(stratégie nationale de développement en Mauritanie) a consigné : «
Facteur de cohésion sociale, la culture comporte un important potentiel
de contribution à la réduction de la pauvreté, notamment dans la mesure
où l’exploitation de son potentiel touristique contribue à la création
d’emplois et de richesse » .
Afin de mettre ce potentiel à profit, des mesures ont été prévues par le
3ème plan d’action du CSLP dont on peut citer : le développement du
patrimoine culturel national et la promotion d’une culture ancrée dans
les valeurs de la société.
J’ai mentionné dans l’intitulé de cette contribution «les raisons de l’optimisme ».
Je n’en démords pas. Même si on ne doit légitimement pas s’attendre à
ce que la diversité culturelle résolve seule toutes les questions liées à
la pauvreté, sa capacité à émanciper, individuellement et
collectivement, à faire naitre et ancrer le sentiment de citoyenneté et
donc de fierté nationale, sont autant de possibilités prometteuses si
elles sont bien exploitées.
Pour traiter de ces aspects, la documentation existante (notamment celle
disponible sur la toile) n’est que d’un secours limité. Tout au plus, y
trouve-t-on des « préceptes » ou des « mesures »
d’ordre général, le plus souvent d’ailleurs non applicables dans le
contexte qui est le nôtre. Il n’y a donc guère d’autre choix que de
replonger dans nos propres réalités culturelles, les disséquer, essayer
d’y trouver et d’exploiter ce qui constitue ou pourrait constituer des
facteurs à même de contribuer au recul de la pauvreté et des inégalités,
renforcer la cohésion et la citoyenneté. Et pour peu que cet effort
soit mené, les résultats peuvent surprendre. Et c’est d’ailleurs bien
ainsi, car l’un des principaux reproches adressés par leurs détracteurs
aux programmes et stratégies de développement, est justement leur
caractère plus porté sur la « théorie » que tourné vers les réalités du « terrain », d’où parfois des résultats et des impacts jugés mitigés.
« Le vrai c’est le Tout » (Hegel)
Tout observateur de la scène culturelle nationale peut remarquer sa
grande richesse et sa diversité. Mais comme évoqué plus haut, rien de
mieux que de revenir aux sources, (re)plonger dans les traditions et les
modes de vie des différentes entités qui composent ce pays, aller à
leur rencontre là où elles ont toujours vécu, patiemment bâti leur
histoire, leur présent et leur avenir. Les interroger sur leur passé,
leurs manières de vivre, leur aptitude à faire face aux difficultés,
leurs désirs, leurs craintes, leurs espoirs aussi. Partager avec eux
leur quotidien.
C’est là une occasion de découvrir les multiples facettes d’un mode de
vie millénaire, à bien des égards plus sain, plus économique et plus
résilient que le nôtre. Exploiter dès lors ces « découvertes »
devient chose aisée. Ainsi, pourrait-on, en premier lieu, répertorier
toutes les techniques, tous les procédés ou outils utilisés et ayant
fait leur preuve le long des siècles, puis en identifier ceux parmi
lesquels qui pourraient toujours servir dans le contexte d’aujourd’hui,
moyennant d’éventuelles adaptations, et enfin mobiliser les ressources
qu’il faut pour les adapter et les vulgariser au sein d’autres
composantes de l’ensemble national.
En effet, au moment, où
dans de nombreux pays (autrement beaucoup plus développés), on se vante
d’exhumer des recettes séculaires, rien n’empêche aussi chez nous de « revisiter »
notre riche patrimoine et d’en faire profiter les générations présentes
et futures.
Pour ce faire, des visites d’échanges seront organisées entre les
différentes régions du pays, différentes entités ou communautés. Mais
pour qu’elles puissent porter leurs fruits, ces visites de « terrain »
devraient durer le temps qu’il faut, pour rendre possible plus tard la
duplication des expériences vécues.
Outre le fait qu’elles puissent aider à découvrir ou redécouvrir des
méthodes, des moyens, des techniques simples et économiques (culinaires
ou autres) pour contribuer à la lutte contre la pauvreté, ces rencontres
intercommunautaires prolongées auront un autre impact beaucoup plus
prégnant : elles favoriseront la confiance mutuelle, la proximité (des
corps et des esprits) et partant la fraternité.
Ces expériences pourront également ouvrir la voie à des « compétitions »
interrégionales où seront primées par exemple les meilleures recettes
ou techniques (sur des critères de simplicité, reproductibilité,
disponibilité des matériaux, etc). Ce sera ainsi une occasion de
promouvoir la créativité, l’innovation et l’esprit d’initiative. De
même, l’impact sur l’emploi (surtout pour les jeunes et femmes en âge de
travailler) sera sensible à travers la promotion de produits ou
techniques primés lors de ces manifestations.
Les Pouvoirs publics veilleront bien entendu au bon déroulement de ces
différentes expériences et à leur suivi.
D’ores et déjà, le
festival des villes anciennes constitue une bonne occasion d’échanges,
d’exposition de produits divers et surtout représentent une bouffée
d’air pour ces villes historiques. Une possibilité serait de généraliser
la tenue de ces festivals à toutes nos agglomérations importantes dont
la quasi-totalité ont un passé historique riche et peuvent faire
profiter toutes les autres de leur propre vécu. En outre, ces festivals
favoriseront la valorisation du potentiel touristique des villes
concernées.
Pour organiser ces festivals, il faudrait mettre le secteur privé à
contribution, pour alléger les charges incombant à l’Etat, mais aussi
pour que nos entrepreneurs et commerçants participent directement et
pleinement à la promotion de la culture nationale.
Discours contestataire et dialogue interculturel
Au moment où des débats sans fin, souvent exacerbés, portent, un peu
partout dans le monde, sur des sujets d’ordre racial ou ethnique, la
diversité culturelle est plus que jamais à l’ordre du jour. Sachons en
Mauritanie, loin du discours contestataire permanent (qui a tendance de
mon point de vue, à anesthésier la culture cohabitationniste), tirer
profit de cette diversité à l’aune du dialogue interculturel.
Les éléments de base de ce dialogue devront porter sur la promotion du
patrimoine culturel laquelle passe nécessairement par la participation
pleine et entière de tous les citoyens. Celle-ci est conditionnée par le
rejet de toute attitude d’indifférence face aux différences ou
spécificités de chaque entité ou composante. A cet égard, une attention
particulière devra être accordée à nos langues nationales, celles-ci
étant les vecteurs par excellence du message culturel.
La reconnaissance et le respect suscitent la participation et la
motivation de tous et surtout font naître ce sentiment d’appartenance à
un seul ensemble, celui de se sentir citoyen. Cette participation est de
plus, sinon une condition, du moins un des préalables à la lutte contre
la pauvreté. Pour la majeure partie de nos concitoyens, il n’est pas
aisé, à première vue, de pouvoir faire le lien entre citoyenneté et
réduction des inégalités. Ce lien réside justement dans la
participation. Celle-ci est conditionnée par le respect des différences.
Et c’est là qu’intervient encore une fois le rôle du facteur
culturel. Pour que tous les citoyens participent pleinement à l’œuvre de
construction collective, il faut qu’ils se sentent membres à part
entière de la communauté nationale, jouissant d’une entière
reconnaissance de leurs droits pour qu’ils soient en retour disposés à
s’acquitter de leurs devoirs. Respecter les spécificités culturelles de
chaque entité, promouvoir les droits d’égalité, de liberté et de
justice, voilà les ingrédients nécessaires à l’édification de l’œuvre
commune. Toutes ces notions de participation, de reconnaissance, de
citoyenneté sont étroitement liées et « se soutiennent mutuellement ».
Dans un contexte d’urbanisation galopante, il faudrait aussi faire de la place à la « culture des villes »,
fortement marquée par la mondialisation et les aspirations
planétarisées. De plus, à la différence de celle décrite plus haut,
caractérisée par l’enracinement, celle-ci se distingue par sa
volatilité, la grande similitude de ses constituants et par son
caractère générateur de divergences. Par les contradictions qu’elle peut
générer, par son potentiel « subversif », par son aptitude à « assimiler » des éléments extérieurs, elle ne doit point être tenue à distance.
A la fois unité et pluralité, porteuse de valeurs individuellement et
collectivement, la diversité culturelle doit être le rempart contre les
fissurations de notre coexistence fragilisée. Malgré les incertitudes du
temps, l’anémie civique et la cécité citoyenne, les raisons de
l’optimisme sont potentiellement présentes. A nous, ensemble, de les
concrétiser à travers le respect et la reconnaissance mutuels, le rejet
de toute stigmatisation, la dissipation des malentendus, le refus des
amalgames. Ainsi, à travers la perpétuation du dialogue, le poids de nos
convictions finira par avoir raison du choc des oracles.
Ishaq Ahmed Cheikh Sidia
(iahmed.cheikh.sidia@gmail.com)