La Cour spéciale contre l’esclavage de
Néma a
organisé son premier procès, juste deux semaines après son
inauguration, le 2 Mai 2016, par le ministre de la Justice. La veille de
l’arrivée de
Mohamed Ould Abdel Aziz à
Néma. Au cours de l’audience, le dossier RP 110/2015, mettant en cause deux présumés coupables de pratiques esclavagistes,
Ikhalihina Ould Haïmad, d’
Outeïd Talhaya, et
Hanena Ould Sidi Mohamed Ould Bouna, d
’Azamad, respectivement présumés maîtres de
Fatma Mint Zeïd et ses quatre enfants, et
Vatma Mint Hemedi, dite Bouta, et ses six enfants, a été présentée à la Cour.
Comme celle-ci n’est pas encore opérationnellement autonome (manque de
salle d’assises), la séance a été organisée dans l’enceinte du palais de
Justice de
Néma. Une petite salle qui a à peine pu
contenir la centaine de personnes venues assister à cette première.
Atmosphère particulièrement chaude.
D’un côté, des dizaines de militants de
SOS-Esclaves
venus soutenir les victimes qu’elles suivent et, de l’autre, les parents
des deux inculpés qui purgent, depuis quelques mois, une peine
d’emprisonnement consécutive à une décision de la Cour d’appel de
Kiffa.
Les six ventilateurs placés dans la petite salle ne parviennent pas à
maîtriser la très forte canicule qui affecte beaucoup l’humeur des
protagonistes des deux camps. Du coup, les deux policiers chargés du
maintien de l’ordre doivent fréquemment rappeler les uns et les autres
au calme.
Ah ! Voici le président de la nouvelle Cour,
Bâ Aliou, qui
entre, flanqué de ses deux assesseurs et de ses deux jurés ! La
tradition des prétoires exige que tout le monde se lève et, là aussi, il
faut toute la vigilance des deux policiers pour faire respecter le
rituel.
Après les préliminaires d’usage, comme la présentation
des présumés coupables et les charges retenues contre eux, le président
donne la parole aux avocats des plaignants : maître
El Id ould Mohameden M’Barek, requis par SOS-Esclaves, et maître
Bilal ould Dick, représentant l’agence
Tadamoun.
Vibrantes plaidoiries contre le fléau
Pendant une dizaine de minutes,
El Id replace, dans une
brillante plaidoirie, l’affaire dans son contexte, avant de demander, à
la Cour, de rendre justice à ses clients qui ont souffert, plus de
quarante années, de pratiques esclavagistes dont les conséquences,
ignorance, pauvreté, absence d’état-civil, notamment, affecte grandement
la vie de
Vatma et de ses six enfants.
Maître
El Id
aura regretté, au passage, qu’avant sa prise de fonction et
l’inauguration officielle de la Cour, le président du nouveau tribunal
spécial contre l’esclavage ait demandé, une fois le dossier transmis à
Nouakchott,
la liberté provisoire pour les deux présumés esclavagistes. N’eût été
l’appel introduit par le Parquet, ces deux hommes n’auraient pas comparu
ici aujourd’hui, déclare
El Id. Ce qui
aurait constitué, dit-il, un bien mauvais présage des prestations de la
nouvelle Cour dont le rôle – l’existence, même – est vouée à appliquer
sévèrement la loi, à l’encontre des esclavagistes, afin d’éradiquer
l’esclavage que les amendements de la nouvelle loi n°031/2015
qualifient, désormais, de crime contre l’humanité. Dans sa plaidoirie,
maître
Bilal Ould Dick abonde dans le même sens de son collègue de la partie civile.
« Tous les dispositifs légaux »
, insiste-t-il,
« plaident en faveur d’une extraction totale du fléau de l’esclavage de la société mauritanienne ». Après
ces deux interventions, le procureur de la République, représentant du
ministère public, entreprend un réquisitoire, sévère, à l’encontre des
deux présumés coupables, en demandant vingt ans d’emprisonnement ferme à
leur encontre et cinq millions d’ouguiyas d’amende.
Arguments éculés de la défense et verdict contesté
Maintenant, c’est au tour de la défense d’argumenter. Maître
Yarbane et maître
El Arbi plaident, tour à tour, en faveur de leurs clients respectifs qui ne seraient, selon leurs allégations, que
« des hommes au profit desquels Vatma Mint Hemedi, Vatma Mint Zeïd et leurs enfants effectuaient des prestations de service, dûment et régulièrement rétribuées ». La Cour, réclament-ils,
«
doit requalifier les faits qu’aucune preuve matérielle, ni aveu, ni
fait ne peuvent permettre de considérer en pratiques esclavagistes ». Pour les deux avocats de la défense, leurs clients doivent être, purement et simplement, relaxés.
Puis le président lève la séance, pour permettre, à la Cour, de
délibérer. C’est vers seize heures que le verdict tombe. Les deux
présumés esclavagistes écopent, chacun, de cinq ans de prison, dont un
seul ferme, et d’un million d’amende.
Sidi Mohamed Ould Bouna, maître de
Mint Hemedi, est condamné à lui verser un million d’ouguiyas, au titre de dommages et intérêts, pour plus de quarante ans de maltraitance.
Alors qu’
Ikhalihina Ould Haïmad
doit honorer les engagements pris dans une conciliation avec son
ancienne esclave : trois millions et demi de dommages et intérêts. A
chaud, les avocats des plaignants ont exprimé leur totale déception.
Pour maître
El Id, « la Cour n’a respecté ni
l’esprit ni la lettre de la loi 031/2015 dont les dispositions prévoient
une peine minimale de dix ans de prison ferme à l’encontre des
esclavagistes.
Or le président de cette Cour a reconnu, dans
son délibéré, que les charges retenues contre les deux inculpés sont,
bel et bien, des pratiques esclavagistes. C’est également curieux que la
Cour ne puisse même pas aligner le montant à verser à Mint Hemedi, au titre de dommages et intérêts, sur celui que l’autre esclavagiste accepte de donner, en conciliation, à Mint Zeïd.
Des incohérences qui prouvent que l’application de la loi et le déni de
l’esclavage constituent encore des contraintes avec lesquelles il faut
encore beaucoup compter ».
Le procès de la Cour spéciale de l’esclavage est, comme l’a rappelé
maître Bilal, le premier organisé par une des trois nouvelles
juridictions nationales dédiées à la lutte contre le fléau.
Malheureusement, le verdict prononcé semble être un message, on ne peut
plus éloquent, de nature à faire déchanter les militants des droits de
l’homme, sur la réalité de la volonté des autorités mauritaniennes à
combattre valablement l’esclavage.
Le combat est donc loin d’être terminé. Dès l’annonce du verdict, maître
El Id ould Mohameden, représentant, rappelons-le, SOS-Esclaves, et maître
Bilal ould Dick,
pour l’agence Tadamoun, ont fait appel de cette curieuse décision de
justice, dans la perspective des assises d’une probable Cour d’appel qui
pourrait se tenir le 26 Mai courant. Le Calame y sera, incha Allah.
El Kory Sneïba
envoyé spécial à
Néma