lundi 23 décembre 2013

Brassage inter-communautaire : « Pas facile d’être métis en Mauritanie »


Brassage inter-communautaire : "Pas facile d'être métis en Mauritanie"Particulièrement depuis l’avènement des militaires au début des années 80, le métissage inter-communautaire est en chute libre, voire n’existe quasiment plus en Mauritanie. Une césure majeure dans l’histoire des relations inter-communautaires entre le fleuve Sénégal et le Sahara. Une mécanique qui devrait pourtant aujourd’hui être activement rappelée et promue, pour que les communautés apprennent à se (re)connaître, et se respecter.   Notamment depuis les événements de 1989, mais avant cela initié par une politique d’état qui a misé sur la division communautaire, la cohabitation apparaît de moins en moins crédible dans un contexte social et urbain où une forme d’apartheid cloisonnant est, de fait, de mise.
Pourtant, l’histoire récente (pré-indépendance) et même antérieure à la colonisation française, est jalonnée de relations inter-ethniques métissées. « Que ce soit pour des raisons d’alliances objectives entre grandes familles toucouleures, Soninkés et mauresques; ou des raisons purement sentimentales » avance Cheikh Saad Bouh Camara, sociologue.
« Le peuple mauritanien est un peuple métissé, et c’est dans le métissage qu’il trouvera son salut » opine Oiga Abdoulaye, ancien DG de la Caisse Nationale de Sécurité Social, qui a écrit sur le sujet dans son essai « Contribution au rétablissement de la vérité sur le peuplement historique de la Mauritanie ».
Pour étayer cette assertion connue mais oubliée, il rappellera dans son essai, les liens séculaires qui unissent les Mechdouf et les Oulad M’Bareck aux soninkés, ainsi qu’aux bambaras. Dans cette continuité, l’ancien directeur de la CNSS rappelle que les familles des Cheikh : « Cheikh Mohamed Fadel, Cheikh El Hadrami, Cheikh Saad Bouh, Cheikh Sidi Bouya, ont pour mère Khadijetou, fille de boubacar Bal, lui-même, fils du célèbre marabout Souleymane Bal ».
« Le métissage du peuple mauritanien, ne se situe pas uniquement au niveau interne de ses tribus et ethnies, il est transfrontalier. Il est illustré par de nombreux cas historiques, dont entre autres, l’union de Diombott M’Bodj, reine du Oualott M’bodj, reine du Oualo, avec l’Emir du Trarza ».
Le rejet des autres
Français par son père, et maure par sa mère, Momme Ducros, micro-blogueur, et chargé de la communication à l’office de l’immigration mondiale (OIM) sait bien ce que veut dire « métis » en Mauritanie. Surtout quand une part de son identité est liée à celle de l’ancien colonisateur. Il souffre encore et régulièrement, des remarques liées à son métissage dans son propre pays:
« Il ne s’agit pas vraiment de rejet mais d’un mépris, avec une connotation liée au passé colonial. On me fait des allusions à peine voilà par rapport à cela. Même dans le monde professionnel, Je fais mine de ne pas entendre de mauvaises idées dites sous cape. Du genre :  » compte tenu de ses origines, certaines tâches devraient échoir à des pures souches ». Idem pour les demandes de mariages, de manière diplomatique on te reproche tes origines. J’ai été gentiment mais fermement éconduit par rapport à cela. J’ai entendu le terme « Nessrani » (Nazaréen, en terme péjoratif, avec une connotation religieuse liée à la mécréance- NDLR) utilisé à mon égard ».
Mokhtar, infirmier à la clinique Kissi de Nouakchott, n’est pas loin de cet avis. Il va même plus loin, en expliquant comment la plupart des métis qu’il connaît s’aliène une de leurs identités :
« On a perpétuellement le cul entre deux chaises. Puis on n’en choisit plus qu’une à partir de l’adolescence. Très peu concilient positivement leurs deux ou trois identités. De fait, d’un côté ou de l’autre de ta famille, on te reproche toujours l’une de tes origines. Par des blagues qui sont sensées faire rire, des paroles dans le dos, que tu finis par entendre… Être métis en Mauritanie n’est pas une sinécure de nos jours » témoigne le jeune mauro-peul.
« L’ère des ignorants et des parvenus »
« Malheureusement à l’ère des ignorants et des parvenus, les systèmes de valeurs ont été inversés. Ce faisant, les gens de savoir qui auraient pu rappeler étayer, et diffuser ce passé commun ont été rejetés dans l’arrière-plan social » affirme un vieil homme d’affaires maure qui a épousé une peule au début de sa carrière.
Cette ignorance a occulté l’histoire familiale d’un Chérif Hamallah Ould Mohamed Ould Signa Omar, Tidiani, source du hamallisme. « Son père était un maure, commerçant au Mali, à Nyamani, sa mère une peule. Il a inspiré foi et spiritualité islamiques à des milliers de maures, bambaras, toucouleurs » raconte Amadou Hampaté Ba dans son récit biographique sur son mentor Thierno Bocar, le sage de Bandiagara. Natif de Mederdra, Chérif Hamallah.
Cheikh Abdoulaye Ndiaye, l’artiste musical plus connu sous le nom de Bakhan, revendique ce métissage, et en fait le socle de sa musique:
« Je suis tout à la fois, maure, pulaar, soninké et wolof. C’est pour cela que j’ai toujours cherché à valoriser les cultures mauritaniennes. Et c’est pour ça que que je rêve de créer une musique mauritanienne moderne qui transcende les barrières ethniques et les cloisonnements musicaux. Il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent, que de sources de divisions. Il faut juste, effectivement, le rappeler aux gens, quotidiennement, et dans tous les domaines » exhorte le prix RFI 2009.
« Quand le métissage porte ses fruits, et que ceux-ci embrassent sans complexe et dans leur entièreté leurs origines diverses, alors un creuset de tolérance, et souvent de talent, se forge. Un peu d’histoire pré-colonisation ferait du bien aux nouvelles générations » conclut N’Diaye Hussein Kane, médecin-colonel à la retraite. Il a été le médecin-traitant personnel de Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Halpulaar de Tékane par son père, il est également issu par sa mère, de la tribu guerrière des Oulad El Nassr d’Aïoun.
Mamoudou Lamine Kane
Noorinfo

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