Par Abdellahi Ould Khalifa(1) RANDAU R. Un corse d’Algérie (2) Archives RIM E-1 188 (3) RANDAU R. (4) Dufour (5) Archives RIM E1-36 (6) Cf chapitre précédent (7) Archives RIM E2-70 (8) Archives RIM E1-7 (9) Télégramme expédié de Moudjéria le 8 juin (10) Pièce 26 (11) Sauf Sidi Ould Khalifa et Hamoid Ould Ahmed Louly (12) Archives RIM E1-7 (13) Pièce 33 Source : La région du Tagant en Mauritanie : L’Oasis de Tijigja entre 1660 et 1960- Editions Karthala
jeudi 5 septembre 2013
Histoire: Rapport entre ksouriens Idaw’Ali et la garnison française de Fort-Coppolani
Avant d’étudier ces deux moments majeurs de l’histoire de l’oued Tijigja, qui ont bien failli remettre en cause la présence française, examinons de plus près les rapports entre les Idaw’Ali et les Français depuis la soumission des premiers, afin de mieux comprendre leur attitude, non seulement lors de ces deux évènements mais aussi, et plus largement, pendant toute la période de la parenthèse coloniale.
En partant du moment qui suit immédiatement la mort de Coppolani, il est permis de se demander si Sidi O.MoulayeZeine et ses compagnons ont pu réussir leur entreprise sans complicités (au moins tacites) de la part des habitants du Ksar et, dans l’affirmative, s’il y avait des raisons à leur hostilité.
Certains membres de la mission, tels Robert Arnaud et le capitaine Frèrejean, ont pu croire et on peut relever leurs présomptions à travers leurs écrits. Ainsi Randau notait déjà, dès le 11 mai (c’est-à-dire un jour avant la mort de Coppolani), lors de la visite au Ksar en sa compagnie et celle de Abdi O. Mbareck, tout le rejet dont il fut l’objet de la part des habitants malgré la grande faculté des dissimulations (kitman) dont sont capables les marabouts :
« Coppolani n’a point manqué d’être frappé de l’animosité dont les gens du ksar firent aujourd’hui preuve à son égard, et qui contraste étrangement avec l’humilité de leur attitude le jour de notre arrivée. Ils donnent les uns et les autres l’impression de conspirer contre nous » (1).
Ce rejet est né non seulement du viol de l’espace sacré de la mosquée qui, aux yeux de l’imam et des autres croyants, a été profané par la visite des infidèles ; ils ont osé gravir le minaret d’où seul le muezzin en état de pureté rituelle est habitué à psalmodier le nom d’Allah ;mais cette réaction de rejet trouve également ses racines dans une série de mécomptes subis par les ksouriens depuis l’arrivée de la mission à Tijigja et sur lesquels nous reviendrons plus loin…
Nous ne le pensons pas, car, dès le deuxième jour de son séjour à Tijigja en nommant Abdi O. Embareck gérant des biens Idaw’ish mis sous séquestre et « seul intermédiaire entre la Djemaa et nous » (2), Coppolani pouvait-il faire une entorse plus grave aux clauses de l’acte de soumission ?
En effet, avec la jemaa, il s’agit de l’organe de gouvernement qui jusque-là, se composait des représentants des quatre fractions et fonctionnait démocratiquement. Notons ce fait, car, plus que n’importe quoi d’autre, il allait devenir la pomme de discorde entre les Français et les Idaw’Ali qui n’acceptèrent jamais l’existence d’un chef général.
La nomination d’Abdi rendait la jemaa sans objet et ses membres ne mirent pas longtemps à le comprendre puisque, de son vivant, Coppolani ne la consultait plus, ne la convoquant que pour exiger d’elle fournitures et réquisitions, créant ainsi un précédent que tous ses successeurs suivront et, en premier lieu Frèrejean.
Autre point de friction entre les Français et les Idaw’Ali : le fait que ces derniers vont très vite déchanter car, dès son arrivée à Tijigja (2 avril 1905) (3), la mission Tagant-Adrar, forte de plus de sept cents hommes, « souffre d’une pénurie inquiétante de vivres » et devient une surcharge intolérable dans un oued aux ressources forcément limitées.
De plus, l’installation du campement provisoire de la mission dans le noyau originel de la palmeraie (à FoumDiar) (4) aboutit à une dépossession des propriétaires des zraib et à une confiscation des puits. Ceux-ci alimentent en eau les habitants du ksar, les parcelles proches (car dépourvues de puits) mais aussi le troupeau qui fournit au village sa ration quotidienne de lait, (toumza).
De l’avis de tous nos informateurs, cet endroit de l’oued était, et est aujourd’hui encore, le plus fourni en eau et ses puits ne recèlent jamais de salure (même lors des années particulièrement sèches). D’ailleurs, Coppolani décide bientôt d’y ériger un poste comme il l’a déjà fait à Aleg et à Mal…
Mais les ksouriens pouvaient-ils continuer de se sentir réellement liés par un acte de soumission dont le contenu fondamental avait été bafoué par Coppolani lui-meme, lui qui s’était mêlé de placarder sur les murs de leur mosquée « les nouveaux droits et devoirs de leur jemaa », en confisquant une partie de leur palmeraie et en soumettant leurs clients (haratin) au travail forcé ? (...)
Mais le sens véritable de ce revirement échappait au résident. Les Idaw’Ali en agissant ainsi s’efforçaient de ne pas éventer un projet naissant dont la réalisation les délivrerait du joug des infidèles qui, à leurs yeux, ont remplacé avec moins de ménagements et plus de poigne celui des Idaw’ish…
Importante décision politique du Commissaire du Gouvernement Général et le Commandement Militaire de la Mauritanie qui nomme Abdi O. Embareck, chef de tous les Idaw’Ali du Tagant : « Le Commissaire du Gouvernement Général vient de reconnaitre d’une façon éclatante le dévouement à notre cause d’Abdi O. Embareck en le nommant Chef de tous les Idaw’Ali : C’est une riche et importante fraction mais qui verra sans enthousiasme un hartani dont la haine contre Bakkar fit la fortune, placé à sa tête. Dans tous les cas, cet homme continue à nous servir en achetant dans le Hodh pour la colonne de l’Adrar des chameaux de bât et des selles » (5).
Cette nomination en effet n’était pas pour plaire aux Idaw’Ali et ressemblait fort à une provocation compte tenu des nombreux démêlés des ksouriens avec ce personnage et avec l’administration avant et après le siège de Tijigja : était-elle, de la part du Colonel Gouraud, destinée à faire payer à cette tribu son opposition avérée à la présence française pendant les évènements du Tagant de 1906 en même temps pour récompenser le seul Idaw’Ali qui a choisi sans équivoque de s’enfermer avec la garnison dans le Fort-Coppolani ? Très probablement ; ou était-ce une manière d’ôter tout espoir à son rival le plus irréductible, Sidi O. Zein …
Quoi qu’il en soit, cette nomination qui accroissait considérablement les pouvoirs d’Abdi O. Embareck depuis Coppolani (6) provoquera un si vif mécontentement parmi les Idaw’Ali que l’autorité administrative dut, pour ramener le calme, « incarcérer leurs notables » (7).
Abdi O. Embareck par ailleurs, depuis la fin du siècle de Tijigja, nourrissait, on le devine, sinon de la haine, du moins un profond désir de vengeance à la fois à l’égard de toutes les fractions Idaw’Ali qui s’étaient jointes aux forces de Moulaye Idriss, ainsi que les Kounta de Rachid et Idaw’ish qui avaient pillé ses maisons et molesté sa parentèle : en tant que seul intermédiaire entre l’autorité administrative et les ksouriens d’une part , en tant que chef de goum et remplissant des fonctions multiples comme celle de Commissaire de Police d’autre part, Abdi eut, à cet égard, la partie facile en emprisonnant les uns, en frappant d’amendes, en les dépossédant de leurs animaux ou de leurs palmiers, en réquisitionnant, pour les employer à sa guise, les haratines des autres ; puisque leurs plaintes restaient lettre morte, le président n’écoutant en l’occurrence que la parole d’Abdi, les tenant ainsi pour pure calomnie ou comme manifestation d’hostilité à l’égard de la présence française.
A l’extérieur de Tijigja, Abdi pillait sans ménagements les tribus qui lui avaient manifesté leur hostilité à l’aide de son goum de Reyanes et de partisans qu’il avait lui-même choisis parmi les guerriers qui s’étaient engagés aux côtés des Français peu avant la mise sur pied de la colonne de l’Adrar…
Il n’y allait pas de main de maître, d’autant que ses guerriers, anciens pillards eux-mêmes, ne pouvaient, loin des autorités françaises, définitivement renoncer à leur sport favori lorsque l’occasion se présentait : « Chérif El Mokhatar O. Chérif Bouya O. Hamaoullah, Limam Ahmed O. Sidi Mohammed, Chorfa de Tichitt transporteurs de sel, sont venus me demander l’Aman pour les protéger des pillages d’Abdi O. Embareck et ses Reyanes. Abdi est malin, actif et intelligent. Si le chef de poste ne prend pas garde, il troublera l’atmosphère politique du secteur » (8).
Cette crainte formulée par le Colonel Gouraud avait presque une tonalité prophétique car, dès la fin de la colonne de l’Adrar, et dès le retour d’Abdi au Tagant, le dossier, intitulé l’Affaire Abdi allait considérablement s’épaissir et créer une véritable effervescence politique non seulement au niveau de ksar de Tijigja mais aussi à l’échelle du Tagant et du Gorgol.
En effet, au niveau de Tijigja, les plaintes et les dénonciations collectives ou individuelles, parfois contradictoires et exagérées, dans le but de déstabiliser Abdi auprès de l’autorité française et de le faire traduire en justice, allaient se succéder à un rythme vertigineux entre Janvier et Février 1910 au point que les résidents du poste, les lieutenants de Féligonde et Marquenet se virent contraints d’en rendre compte au capitaine Frèrejean commandant du Cercle du Tagant basé à Moudjeria.
Ce dernier, après avoir dressé un bilan de l’ensemble des réclamations relatives aux agissements d’Abdi O. Embareck et de ses Reyanes, fut amener à envoyer, le 4 Févier et le 1er mars 1910, deux volumineux rapports au Commissaire du Gouvernement Général, le lt. Colonel Patey, dans lesquels il montre le danger qu’ils représentent pour l’ordre établi à grande peine et propose comme remède « d’éloigner Abdi et de l’assigner à résidence hors du Tagant pour calmer l’effervescence qui secoue toute la région » (9).
Dans sa réponse, Patey décide de faire juger Abdi, « car son affaire dépasse le cadre juridique et devient politique ». Il relève par la même occasion de sa fonction de chef des Idaw’Ali dont les quatre fractions retrouvèrent leur autonomie et comme chefs : Sidi Mohammed O. Abderahmane pour les AhelLimam, Aknoud O. Mohammed O. Bechir (AhelMaham), Sidi O. Khalifa (OuladAbouhoum) et Sidi O. Zein (Temielle). Il recommanda en conclusion que l’instruction devrait être menée activement dès que la nomination de Taleb Mohammed comme cadi supérieur serait agréée et que l’attention devrait « surtout porter sur l’accusation relative à la livraison des cartouches » (10).
Cette affaire Abdi assez compliquée et plutôt embarrassante pour l’autorité coloniale compte tenu du dévouement et de la grande utilité pour elle du personnage, allait être jugée en deux temps :
- La première comparution eut lieu le 6 juin 1910 sous le nom de Question des palmiers car elle concernait des plaintes et dénonciations multiples des ksouriens Idaw’Ali à propos de palmiers extorqués par Abdi, ou des arbres morts mais qu’il recense quand même pour leur faire payer indûment l’impôt : à titre d’exemple, les Temielle se plaignaient du fait qu’on veut leur payer le Zekkat de 3 palmiers morts ; les AhelMaham réclament pour 37 palmiers vivants dont certains ont été extorqués par Abdi et d’autres non encore productifs mais recensés à tort par celui-ci pour augmenter le montant de leur Zekkat, les AhelLimam pour 37 palmiers dont 10 seulement sont vivants, les OuladAbouhoum pour 27 palmiers dont 20 vivants.
Et comme pour corser l’accusation, la Jemmaâ des Idaw’Ali (11), vient affirmer d’une même voix au résident qu’elle a quand même versé le Zekkat. Lamy accepte et promet qu’Abdi ne sera plus le représentant de l’administration pour le recouvrement de l’impôt.
L’affaire fut portée devant le cadi Taleb Mohammed, et une enquête aussitôt pour vérifier le bien fondé de cette kyrielle de plaintes et de dénonciations : il apparut très vite que la plupart des accusations n’était que pure calomnie que l’intéressé mit d’ailleurs, à l’audience de Juin, sur le compte de la haine et de la jalousie de ses contribuables ; et le résident de Tijigja proposa dans son rapport (12), une forte sanction contre deux d’entre eux, dont l’exceptionnelle gravité des témoignages, avérés faux par la suite (Mohammed Abdallahi O. Shaykh El-Bennani des AhelMaham et Mohammed O. Boutta. Ahmed O. Sidi Brahim des AhelLimam), et une sanction moins sévère contre cinq autres qui une fois confondus, avouèrent que l’important pour eux était de se débarrasser d’Abdi, il s’agit de Sidi Mohammed Mahmoud, et Oubeï O. Mohamed O. Reïar des OuladAbouhoum.
Cette dernière proposition de sanction met en évidence la haine profonde que les AhelMaham vouent à Abdi, haine dont nous avons évoqué dans le chapitre précédent, l’origine.
- Le deuxième jugement de l’affaire Abdi eut lieu à Tijigja le 29 Juin 1910 sous la présidence du Lieutenant Paul Marquenet, assisté par Taleb Mohammed O. Mohammed Fall comme cadi, d’El Houssein O. Bakkar et Sidi Mohammed comme assesseurs titulaires ; il concerna d’abord la question des cartouches. Abdi est accusé d’avoir vendu 200 cartouches aux AhelKedia (les gens de la montagne : dissidents) pour se procurer un cheval de race : « Mais les preuves n’étant pas établies, écrit Marquenet, le nommé Abdi O. Embareck bénéficiera de doute : il est déclaré innocent » (13).
Cependant pour les autres éléments de l’accusation avérés vrais, comme l’appropriation forcée de certains palmiers, ou les pillages de ses goumiers Reyanes qu’il a couverts, le Tribunal condamna Abdi, après audition de 33 témoins, à 5 mois de prison et à payer à titre de dommages la somme de 6 939F, 28 pièces de filature, 1 pièce de Chandourah et 2 vaches.
Après cinq mois de résidence surveillée à Moudjeria, Abdi O. Embareck revint à Tjigja où l’autorité administrative fit souvent appel à lui comme agent de renseignement du fait de sa profonde connaissance des gens et des lieux, ainsi qu’à sa valeur guerrière pendant la colonne de Tichitt (fin 1910 début 1911) pour chasser et capturer l’Emir de l’Adrar Sidi Ahmed O. Aïda et ses partisans...
(A suivre)
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