Alors que s’accélère l’épidémie d’Ebola et que le monde entier se mobilise pour la stopper sans qu’aucune solution ne soit réellement en vue dans les prochains mois, le spectacle auquel j’ai été témoin et acteur dans l’après midi du 3 septembre au poste frontière de Rosso a de quoi faire peur quant aux risques très graves que fait peser l’administration publique elle-même sur les citoyens qu’elle est censée protéger.
Les passagers qui descendent des pirogues ou du bac venus du Sénégal sont invités à se présenter à un « poste de contrôle sanitaire » dans un bâtiment isolé des autres bâtiments administratifs, après avoir accomplis les formalités administratives d’usage, c'est-à-dire après être déjà entrés en contact non protégés avec le personnel de douanes, police,gendarmerie, change etc, ainsi gravement exposés. Mais ce premier couac sécuritaire n’est rien à côté de ce qui se passe à l’intérieur du poste de « santé ». Le spectacle est hallucinant. Dans un désordre indescriptible, les passagers sont mis en rangs par deux ou trois personnes dans un couloir étroit , à côté de gendarmes assis à même le sol, la kalachnikov posés le long des murs à portée de mains, harassés par la chaleur étouffante d’une fin d’après d’hivernage tardif. « Au suivant ! ». On entre et on en revient pas. Un monsieur enturbanné et en grand boubou bleu, tient dans ses mains nues, deux thermomètres blancs ergonomiques et les tend sans dire un mot aux arrivants, tout en sueur le plus souvent, pressés chacun son tour, d’en fourrer un sous l’aisselle avant de payer à un gendarme rivé sur l’écran de son ordinateur, les mille ouguiyas exigés par aisselle et par personne. Quelqu’un a l’indélicatesse de dire « c’est cher ! » en observant tout près de moi le manège du gendarme qui pianote sur son ordinateur les mentions portées sur une carte d’identité. Le gendarme le tance du regard et lui dit de retourner d’où il vient s’il n‘est pas heureux. Il répond en hésitant qu’il était mauritanien et s’entend répondre définitivement et sans appel : « raison de plus de te taire et de laisser les gens travailler ». Je sens la crise arriver. Je me vois déjà embarquer vers la brigade de gendarmerie et passer la nuit à Rosso pour rébellion ou quelque chose comme ça. Car bien sûr, je ne cautionnerai pas cette mascarade dangereuse et ne payerai pas une ouguiya sans reçu ni fiche quelconque pour un « service » aussi incongru. Une délégation de femmes sénégalaises manifestement en mission officielle n’en croit pas ses yeux, tout en se prêtant à ce jeu à la fois dangereux et vulgaire (exposer au regard de tous, ses aisselles n’est pas de nos traditions !) et tout en faisant gentiment la remarque qu’il ‘ya pas eu de reçu pour les mille ouguiyas chacune. J’observe le spectacle. La salle est d’une repoussante saleté. Pas un seul signe de dispositif lié de près ou de loin à la médecine hormis les deux thermomètres et, peut être, l’ordinateur du gendarme, qui enregistre sans arrêt et fourre les billets bleus dans un tiroir rempli. Qui est ce monsieur enturbanné et en boubou bleu : un infirmier, un médecin, un gendarme en civil ? Pourquoi n’est-il pas en uniforme blanc réglementaire ? Pourquoi pour sa propre sécurité et celle de ses innombrables « patients » ne met il pas des gants et un masque respiratoire ? Et ces mille ouguiyas que l’on s’acquitte : pourquoi et pour qui ? Qui peut réellement les payer dans la masse de petits pauvres qui font le va et vient entre les deux rives à longeur de journée ? N’est-ce pas une somme qui peut en pousser plus d’un à passer la frontière en catimini pour y échapper et fuir ainsi l’essentiel : le contrôle de santé précisément ?
Mon tour arrive. Mon compagnon de véhicule était ressorti de peur sans doute d’être embarqué en même temps que moi à la gendarmerie puisque je lui avais fait part de mon intention de me rebeller. J’avance vers le monsieur enturbanné. Il me tend furtivement l’un des thermomètres juste après qu’une femme l’a passé sous son aisselle. Je me penche alors vers lui pour ne pas le gêner et lui dis « je ne prendrai pas ce thermomètre et votre jeu est dangereux et contraire à toutes les règles de santé publique ». Il sursauta surpris, prononça des mots inaudibles avant de me dire très distinctement « vous avez raison ». Poliment, Il me demanda néanmoins de m’enregistrer auprès du gendarme. Celui-ci avait observé la scène sans rien dire. Il prit ma carte et m’enregistra. Il n‘y eut pas de crise car il ne me réclama aucun sou en me la restituant sans un mot. Je sorti de ce four poussiéreux pour reprendre le véhicule garé dans le parking du quai où m’attendait mon compagnon de route. Devant des douaniers et des gendarmes assis à côté de lui j’expliquai les raisons de mon double refus d’être contrôlé et de payer dans ces conditions. Ils étaient plus indignés que moi de cette mascarade qui risque de coûter cher au pays au moindre cas d’Ebola qui passerait par Rosso dans ces conditions invraisemblables. Au vu de ce que j’ai vu, à Rosso, c’est un boulevard que l’administration ouvre au virus. Prions pour qu’il s’inscrive aux abonnés absents.
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