Cheikh Ould Ahmed Ould Baya ses nouvelles fonctions de Maire de la ville minière de Zouérate, ne l’ont pas empêché de remplir sa mission de négociateur en chef des accords de pêche avec l’Union Européenne en vue du renouvellement du Protocole signé le 31 juillet 2012 pour une période de deux ans.
C’est effectivement lui, en qualité de Conseiller du ministre des pêches qui a dirigé la partie mauritanienne aux deux premiers rounds des négociations dont un à Bruxelles et l’autre à Nouakchott. Qu’est-ce qui n’est pas dit actuellement sur ces négociations ?
Comme si l’on voulait revenir à l’atmosphère délétère qui avait accompagné les premières négociations quand, avec la complicité de certains opérateurs mauritaniens, d’acteurs politiques prêts à s’enrôler pour les causes les plus suspectes, de quelques plumes servant à la demande, une campagne a été lancée contre l’Accord auquel «on» reprochait de servir les intérêts de la Mauritanie avant tout.
Pour parler des négociations engagées et bien sûr des problèmes de gestion de la ville de Zouérate, nous avons rencontré Cheikh Ould Baya.
La Tribune : Les négociations pour le renouvellement du Protocole de pêche avec l’UE ont commencé en Mai dernier. Il semble que vous buttez sur des questions difficiles encore une fois. Lesquels ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Un protocole de cette taille, avec des intérêts énormes, ne peut se conclure aussi facilement que certains peuvent penser, car il s’agit d’un coté, de 28 Etats composant l’Union Européenne (UE) avec leurs attentes spécifiques, et de l’autre, d’un pays en voie de développement et qui entend tirer le maximum de profits de ses richesses, notamment par la prise en compte de l’exigence d’une exploitation durable, respectueuse des cycles naturels et des possibilités offertes, mais aussi de la nécessité pour lui d’en faire un moteur de développement.
Tout cela engendre toujours des négociations en coulisses parfois plus compliquées que celles qui sont officielles. Alors patience...
La Tribune : Parmi les points qui bloquent on parle de la date d’entrée en vigueur du Protocole en cours.
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Effectivement Bruxelles considère la date du 8 octobre 2013 qui coïncide avec le vote du parlement UE, alors que pour nous, l’Accord, signé le 31 juillet 2012 à Nouakchott qui est immédiatement entré en vigueur, comme d’ailleurs pour tous les protocoles antérieurs.
Aujourd’hui Mr Roberto Cesari, le nouveau négociateur en chef UE parle de parafe et non de signature, arguant en plus que son prédécesseur et actuel patron n’est pas habilité à signer ce document. Alors que le Protocole est public et accessible a tous et il suffit de le voir pour constater qu’il a bien été et paraphé et signé en bas de page par MR Stefaan DEPYPERE, celui-là même qui avait mené les négociations de l’époque.
La paraphe et la signature ne peuvent être confondues. D’ailleurs la cérémonie de signature est passée dans beaucoup de chaines Tv mauritaniennes et étrangères. Quant à sa compétence pour signer, elle ne nous est pas opposable. Elle aurait dû être soulevée immédiatement par Bruxelles si cela posait problème.
Au lieu de cela, comme d’habitude, Bruxelles avait demandé par écrit (toujours signé de la main de Mr Stefaan DEPYPERE) à la Mauritanie de ne pas interrompre les activités des navires UE en attendant l’accomplissement des procédures européennes. Comme d’habitude, cette faveur a été accordée parce que la confiance règne entre les vieux partenaires.
C’est ainsi qu’une quarantaine de navires avaient continué à pêcher à la demande officielle de Bruxelles, laquelle renvoyant au Protocole de juillet 2012.
Nouakchott peut comprendre des retards de paiement pour la première année, dus aux procédures liées au calendrier du Parlement UE, comme cela a été le cas en 2006, mais vouloir découpler ce paiement de la date effective du démarrage des activités de pêche semble illogique, tout simplement.
La Tribune : Mais les navires pélagiques et crevettiers n’avaient pas renouvelé leurs licences et n’ont commencé à pêcher que cinq mois plus tard. Comment pensez-vous compenser ce manque à gagner pour l’UE ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : C’est au contraire la Mauritanie qui devait être dédommagée pour les quotas réservés et non pêchés par l’UE car ils ne pouvaient être attribués aux autres partenaires. A mon avis, la position aurait été plus compréhensible, si Bruxelles avait dénoncé le Protocole pour «niveau réduit d’utilisation des possibilités de pêche» comme le prévoit l’article 5.
La Tribune : Pourquoi selon vous ne l’a-t-elle pas fait ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Je ne saurai vous le dire avec certitude. Probablement parce que les conséquences d’un pareil acte affecteraient inévitablement les pêcheurs espagnols restés sur zone et vous savez que l’Espagne est un poids lourd de la pêche européenne Donc, au lieu d’une dénonciation, le Conseil des Ministres européen a adopté le Protocole en décembre 2012, autorisant ainsi la Commission Européenne à payer la compensation financière de 67 millions euros à la Mauritanie.
La Tribune : Mais l’Espagne était leader du lobby européen anti protocole, comment alors aurait-elle pu s’opposer à sa dénonciation?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui mais cela ne l’empêchait pas de préserver les intérêts de ses pêcheries restées en activité en attendant de faire ce qu’elle peut pour les céphalopodiers exclus et les crevettiers en difficulté. Je ne vois pas la contradiction. C’est ainsi qu’elle a pu obtenir des améliorations importantes au profit de navires crevettiers.
La Tribune : Lors du dernier round, les Européens auraient offert de diminuer la compensation financière de 67 millions euros mais aussi le quota en passant de 300.000 à 200.000 tonnes de pélagique. Vous auriez refusé. N’est-ce pas logique de payer moins quand on va pêcher moins ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui, bien sûr, c‘est logique de payer si on pêche moins. Seulement, il ne s‘agit pas ici d‘une règle de trois. La compensation financière est un droit d’accès, payé par l’UE, à ne pas confondre avec le prix du poisson payé par l’armateur à la tonne pêchée.
Ce droit d’accès, comme nous avons souvent répété à nos partenaires européens, est payé pour : 1. réserver un quota important sans aucune garantie de prélèvement, et qui ne peut être alloué à une autre partie, comme c’est arrivé en 2012 ; 2. accéder à une zone de pêche très riche, calme, sûre et surtout proche des marchés européens et africains ; 3. Avoir la priorité à la ressource par rapport à tous les partenaires étrangers, juste après les pêcheurs mauritaniens etc.
Pour rappel, les négociateurs européens Messieurs Stefan Depypere et Constantin Alexandrou, en juillet 2012, avaient aussi commencé par demander un quota pélagique de 200.000 T au lieu de 250.000 T précédemment. Ils ont opté finalement pour 300.000 T quand ils ont compris que le droit d’accès serait de toutes les façons le même.
Cela arrangeait aussi la Mauritanie qui est depuis 2012 payée à la tonne pêchée et non au forfait. Ceci dit, si les Européens cette fois optent pour 200.000 T, ils paieront un tiers en moins mais seulement sur les charges liées au prix du poisson : la redevance de 123 euros par tonne pêchée, les frais de fonctionnement, les taxes et frais divers etc. Cette fois la règle s‘appliquerait.
La Tribune : Les Européens auraient proposé de compenser cette régression de la compensation financière par un appui financier ou une subvention. Pourquoi vous y êtes-vous opposé ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Parce qu’il s’agit d’un leurre, le même que celui des protocoles des années d’avant 2O12. Des protocoles aux conditions financières très avantageuses sur le papier, qui s’avèrent à la fin décevantes pour la Mauritanie et avec des conditionnalités qui rendent leur décaissement ou recouvrement impossibles. Pour en avoir le cœoeur net, consultez ces anciens protocoles, et faites le rapprochement avec leurs résultats. Comme on dit chez nous, «qui a été mordu par un serpent, a peur des cordes».
Il serait beaucoup plus facile, dés lors que cette «compensation» est envisagée par l’UE, que cette dernière subventionne ses armateurs pour les aider à payer le juste prix du droit d’accès demandé par la Mauritanie.
La Tribune : Des rumeurs disent que les canariens dans le cadre d’un partenariat avec la zone franche de Nouadhibou pourraient amener la Mauritanie à reconsidérer l’obligation de transbordement en Mauritanie . Qu’en est-il ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Je ne suis pas au courant. Il s’agit comme vous dites de ces fantasmes qui accompagnent les périodes de négociations, soit pour déstabiliser les négociateurs de part et d’autre, en donnant de faux espoirs aux uns et en décourageant la bonne volonté des autres. Derrière tout cela se dessine la volonté de réhabiliter un système qui profitait à certains opérateurs tout en privant le pays de la possibilité de jouir efficacement et pleinement de son potentiel.
La Tribune : Vous faites allusion aux détracteurs nationaux et étrangers du Protocole, ceux-là susurrent dans les salons que le Maire de Zouérate que vous êtes doit avoir moins de temps pour mener une négociation aussi laborieuse, s’il veut apporter des solutions aux problèmes d’une ville minière qui était au bord de l’explosion sociale. Que répondez-vous ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui, les esprits malveillants essayent toujours de déstabiliser celui qu’ils croient être la pièce maitresse d’un processus qu’ils veulent torpiller. Dans le cas des négociations avec l’UE, c’est sur ma personne que ça tombe. Ils oublient que l’équipe de négociateurs que je dirige a un avis technique, étayé par la volonté politique nationale.
Désormais peu importe qui dirige notre équipe.Nos soucis concernant la préservation de la ressource et même l’instauration d’un commerce équitable rencontrent très souvent l’adhésion de la plupart des acteurs politiques européens. C’est que là-bas, l’élite est consciente de la nécessité d’assurer une bonne gouvernance des ressources naturelles et est souvent prête à soutenir tous les efforts d’indépendance des pays comme le nôtre.
Cette élite sait que l‘effondrement de notre zone de pêche aurait de lourdes conséquences pour nous certes, mais aussi pour l‘Europe. Leur défense des intérêts mauritaniens compensent heureusement tout le travail de sape que certains nationaux entreprennent. Mais, c’est surtout, et c’est le lieu de le dire, la volonté politique réelle et engagée du Président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a permis à la Mauritanie de mener des négociations professionnelles basées sur des données scientifiques irréfutables et de traiter ensuite d’égal à égal avec ses partenaires.
Ce qui est nouveau ici, c’est essentiellement que nous travaillons tous pour l’intérêt général de la Nation et qu’aucune interférence politique supérieure ne vient perturber le processus des négociations.
Pour revenir à ma ville, à cette belle ville qui a tout donné à la Mauritanie, au bout de près de cinquante ans d’exploitation minière. Cette ville manquait cruellement d’eau. Elle est désormais régulièrement alimentée grâce à l’achat de nombreuses citernes et à la réhabilitation d’un circuit d’alimentation par train qui va de Boulenouar, non loin de Nouadhibou. La solution pérenne de la question de l’eau commence par la maitrise du potentiel hydrique : nous avons travaillé à la construction de barrages et de retenues dont l’apport sera important.
En quelques mois, la couverture sanitaire a été considérablement améliorée. La SNIM et les acteurs économiques sont revenus progressivement à leurs rôles naturels de redistributeurs : la prospérité des entreprises minière doit rayonner sur l’habitant, cela se fera petit-à-petit. Nous avons décidé d’exonérer de taxes tous les petits commerces (ils le sont tous à Zouérate)et de reprendre en gestion directe tout ce qui appartient à la Mairie. Les populations démunies bénéficient désormais d’assistance régulière et conséquente.
Mais le travail en profondeur a visé la pacification des rapports entre la force ouvrière qu’elle soit régulière ou saisonnière, et les employeurs. En résolvant ce problème social, de grands équilibres ont été retrouvés et la fracture sociale qui a causé tant de dégâts s’est considérablement rétrécie. Tout ça en quelques mois. Nous croyons que nous sommes sur la bonne voie, avec notamment l’ouverture de passerelles de concertations permanentes entre les citoyens et leurs élus. Ce qu’il faut ici, c’est réhabiliter la valeur du travail et restaurer la confiance entre l’encadrement administratif (Administration et Mairie) et la population. C’est en bonne voie.
Je fais partie personnellement d’une génération qui donne le mieux d’elle-même quand elle se trouve devant plusieurs défis et qu’elle se bat sur plusieurs fronts. Surtout quand l’objet de la bataille est le bien-être de notre population de Zouérate ou de Fassala, de N’Diago ou de N’Beyket Lahwash.
Vous devez savoir que les retombées de l’accord de pêche profitent aux populations mauritaniennes, non seulement en terme d’opportunités de travail ou encore par l’apport financier substantiel généré, mais aussi par ces 2% prélevés sur le pélagique et gracieusement distribués aux démunis des bidonvilles de Nouakchott et de Nouadhibou, à ceux de Bir, de Bassiknou, de Boghé, de Gouraye, de Kankossa, de Moudjéria, de Tiguind.
Nos détracteurs nous accusent de «trop tirer sur la ficelle pour arracher le plus à nos partenaires et que pour cela on risque de rompre la ficelle». Heureusement que l’époque où le négociateur mauritanien s’empressait de signer pour les dessous de table est révolue. Heureusement que le temps où notre pays signait de toute manière parce qu’il n’avait pas le choix, car contourné est révolue. Aujourd’hui, c’est le professionnalisme des négociateurs, leur compétence et c’est la possibilité pour la Mauritanie de traiter d’égal à égal avec ses partenaires qui dérangent les sceptiques. Rassurez-vous, quoiqu‘il en soit, désormais rien ne sera plus comme avant.
La Tribune
C’est effectivement lui, en qualité de Conseiller du ministre des pêches qui a dirigé la partie mauritanienne aux deux premiers rounds des négociations dont un à Bruxelles et l’autre à Nouakchott. Qu’est-ce qui n’est pas dit actuellement sur ces négociations ?
Comme si l’on voulait revenir à l’atmosphère délétère qui avait accompagné les premières négociations quand, avec la complicité de certains opérateurs mauritaniens, d’acteurs politiques prêts à s’enrôler pour les causes les plus suspectes, de quelques plumes servant à la demande, une campagne a été lancée contre l’Accord auquel «on» reprochait de servir les intérêts de la Mauritanie avant tout.
Pour parler des négociations engagées et bien sûr des problèmes de gestion de la ville de Zouérate, nous avons rencontré Cheikh Ould Baya.
La Tribune : Les négociations pour le renouvellement du Protocole de pêche avec l’UE ont commencé en Mai dernier. Il semble que vous buttez sur des questions difficiles encore une fois. Lesquels ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Un protocole de cette taille, avec des intérêts énormes, ne peut se conclure aussi facilement que certains peuvent penser, car il s’agit d’un coté, de 28 Etats composant l’Union Européenne (UE) avec leurs attentes spécifiques, et de l’autre, d’un pays en voie de développement et qui entend tirer le maximum de profits de ses richesses, notamment par la prise en compte de l’exigence d’une exploitation durable, respectueuse des cycles naturels et des possibilités offertes, mais aussi de la nécessité pour lui d’en faire un moteur de développement.
Tout cela engendre toujours des négociations en coulisses parfois plus compliquées que celles qui sont officielles. Alors patience...
La Tribune : Parmi les points qui bloquent on parle de la date d’entrée en vigueur du Protocole en cours.
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Effectivement Bruxelles considère la date du 8 octobre 2013 qui coïncide avec le vote du parlement UE, alors que pour nous, l’Accord, signé le 31 juillet 2012 à Nouakchott qui est immédiatement entré en vigueur, comme d’ailleurs pour tous les protocoles antérieurs.
Aujourd’hui Mr Roberto Cesari, le nouveau négociateur en chef UE parle de parafe et non de signature, arguant en plus que son prédécesseur et actuel patron n’est pas habilité à signer ce document. Alors que le Protocole est public et accessible a tous et il suffit de le voir pour constater qu’il a bien été et paraphé et signé en bas de page par MR Stefaan DEPYPERE, celui-là même qui avait mené les négociations de l’époque.
La paraphe et la signature ne peuvent être confondues. D’ailleurs la cérémonie de signature est passée dans beaucoup de chaines Tv mauritaniennes et étrangères. Quant à sa compétence pour signer, elle ne nous est pas opposable. Elle aurait dû être soulevée immédiatement par Bruxelles si cela posait problème.
Au lieu de cela, comme d’habitude, Bruxelles avait demandé par écrit (toujours signé de la main de Mr Stefaan DEPYPERE) à la Mauritanie de ne pas interrompre les activités des navires UE en attendant l’accomplissement des procédures européennes. Comme d’habitude, cette faveur a été accordée parce que la confiance règne entre les vieux partenaires.
C’est ainsi qu’une quarantaine de navires avaient continué à pêcher à la demande officielle de Bruxelles, laquelle renvoyant au Protocole de juillet 2012.
Nouakchott peut comprendre des retards de paiement pour la première année, dus aux procédures liées au calendrier du Parlement UE, comme cela a été le cas en 2006, mais vouloir découpler ce paiement de la date effective du démarrage des activités de pêche semble illogique, tout simplement.
La Tribune : Mais les navires pélagiques et crevettiers n’avaient pas renouvelé leurs licences et n’ont commencé à pêcher que cinq mois plus tard. Comment pensez-vous compenser ce manque à gagner pour l’UE ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : C’est au contraire la Mauritanie qui devait être dédommagée pour les quotas réservés et non pêchés par l’UE car ils ne pouvaient être attribués aux autres partenaires. A mon avis, la position aurait été plus compréhensible, si Bruxelles avait dénoncé le Protocole pour «niveau réduit d’utilisation des possibilités de pêche» comme le prévoit l’article 5.
La Tribune : Pourquoi selon vous ne l’a-t-elle pas fait ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Je ne saurai vous le dire avec certitude. Probablement parce que les conséquences d’un pareil acte affecteraient inévitablement les pêcheurs espagnols restés sur zone et vous savez que l’Espagne est un poids lourd de la pêche européenne Donc, au lieu d’une dénonciation, le Conseil des Ministres européen a adopté le Protocole en décembre 2012, autorisant ainsi la Commission Européenne à payer la compensation financière de 67 millions euros à la Mauritanie.
La Tribune : Mais l’Espagne était leader du lobby européen anti protocole, comment alors aurait-elle pu s’opposer à sa dénonciation?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui mais cela ne l’empêchait pas de préserver les intérêts de ses pêcheries restées en activité en attendant de faire ce qu’elle peut pour les céphalopodiers exclus et les crevettiers en difficulté. Je ne vois pas la contradiction. C’est ainsi qu’elle a pu obtenir des améliorations importantes au profit de navires crevettiers.
La Tribune : Lors du dernier round, les Européens auraient offert de diminuer la compensation financière de 67 millions euros mais aussi le quota en passant de 300.000 à 200.000 tonnes de pélagique. Vous auriez refusé. N’est-ce pas logique de payer moins quand on va pêcher moins ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui, bien sûr, c‘est logique de payer si on pêche moins. Seulement, il ne s‘agit pas ici d‘une règle de trois. La compensation financière est un droit d’accès, payé par l’UE, à ne pas confondre avec le prix du poisson payé par l’armateur à la tonne pêchée.
Ce droit d’accès, comme nous avons souvent répété à nos partenaires européens, est payé pour : 1. réserver un quota important sans aucune garantie de prélèvement, et qui ne peut être alloué à une autre partie, comme c’est arrivé en 2012 ; 2. accéder à une zone de pêche très riche, calme, sûre et surtout proche des marchés européens et africains ; 3. Avoir la priorité à la ressource par rapport à tous les partenaires étrangers, juste après les pêcheurs mauritaniens etc.
Pour rappel, les négociateurs européens Messieurs Stefan Depypere et Constantin Alexandrou, en juillet 2012, avaient aussi commencé par demander un quota pélagique de 200.000 T au lieu de 250.000 T précédemment. Ils ont opté finalement pour 300.000 T quand ils ont compris que le droit d’accès serait de toutes les façons le même.
Cela arrangeait aussi la Mauritanie qui est depuis 2012 payée à la tonne pêchée et non au forfait. Ceci dit, si les Européens cette fois optent pour 200.000 T, ils paieront un tiers en moins mais seulement sur les charges liées au prix du poisson : la redevance de 123 euros par tonne pêchée, les frais de fonctionnement, les taxes et frais divers etc. Cette fois la règle s‘appliquerait.
La Tribune : Les Européens auraient proposé de compenser cette régression de la compensation financière par un appui financier ou une subvention. Pourquoi vous y êtes-vous opposé ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Parce qu’il s’agit d’un leurre, le même que celui des protocoles des années d’avant 2O12. Des protocoles aux conditions financières très avantageuses sur le papier, qui s’avèrent à la fin décevantes pour la Mauritanie et avec des conditionnalités qui rendent leur décaissement ou recouvrement impossibles. Pour en avoir le cœoeur net, consultez ces anciens protocoles, et faites le rapprochement avec leurs résultats. Comme on dit chez nous, «qui a été mordu par un serpent, a peur des cordes».
Il serait beaucoup plus facile, dés lors que cette «compensation» est envisagée par l’UE, que cette dernière subventionne ses armateurs pour les aider à payer le juste prix du droit d’accès demandé par la Mauritanie.
La Tribune : Des rumeurs disent que les canariens dans le cadre d’un partenariat avec la zone franche de Nouadhibou pourraient amener la Mauritanie à reconsidérer l’obligation de transbordement en Mauritanie . Qu’en est-il ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Je ne suis pas au courant. Il s’agit comme vous dites de ces fantasmes qui accompagnent les périodes de négociations, soit pour déstabiliser les négociateurs de part et d’autre, en donnant de faux espoirs aux uns et en décourageant la bonne volonté des autres. Derrière tout cela se dessine la volonté de réhabiliter un système qui profitait à certains opérateurs tout en privant le pays de la possibilité de jouir efficacement et pleinement de son potentiel.
La Tribune : Vous faites allusion aux détracteurs nationaux et étrangers du Protocole, ceux-là susurrent dans les salons que le Maire de Zouérate que vous êtes doit avoir moins de temps pour mener une négociation aussi laborieuse, s’il veut apporter des solutions aux problèmes d’une ville minière qui était au bord de l’explosion sociale. Que répondez-vous ?
Cheikh Ould Ahmed Ould Baya : Oui, les esprits malveillants essayent toujours de déstabiliser celui qu’ils croient être la pièce maitresse d’un processus qu’ils veulent torpiller. Dans le cas des négociations avec l’UE, c’est sur ma personne que ça tombe. Ils oublient que l’équipe de négociateurs que je dirige a un avis technique, étayé par la volonté politique nationale.
Désormais peu importe qui dirige notre équipe.Nos soucis concernant la préservation de la ressource et même l’instauration d’un commerce équitable rencontrent très souvent l’adhésion de la plupart des acteurs politiques européens. C’est que là-bas, l’élite est consciente de la nécessité d’assurer une bonne gouvernance des ressources naturelles et est souvent prête à soutenir tous les efforts d’indépendance des pays comme le nôtre.
Cette élite sait que l‘effondrement de notre zone de pêche aurait de lourdes conséquences pour nous certes, mais aussi pour l‘Europe. Leur défense des intérêts mauritaniens compensent heureusement tout le travail de sape que certains nationaux entreprennent. Mais, c’est surtout, et c’est le lieu de le dire, la volonté politique réelle et engagée du Président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a permis à la Mauritanie de mener des négociations professionnelles basées sur des données scientifiques irréfutables et de traiter ensuite d’égal à égal avec ses partenaires.
Ce qui est nouveau ici, c’est essentiellement que nous travaillons tous pour l’intérêt général de la Nation et qu’aucune interférence politique supérieure ne vient perturber le processus des négociations.
Pour revenir à ma ville, à cette belle ville qui a tout donné à la Mauritanie, au bout de près de cinquante ans d’exploitation minière. Cette ville manquait cruellement d’eau. Elle est désormais régulièrement alimentée grâce à l’achat de nombreuses citernes et à la réhabilitation d’un circuit d’alimentation par train qui va de Boulenouar, non loin de Nouadhibou. La solution pérenne de la question de l’eau commence par la maitrise du potentiel hydrique : nous avons travaillé à la construction de barrages et de retenues dont l’apport sera important.
En quelques mois, la couverture sanitaire a été considérablement améliorée. La SNIM et les acteurs économiques sont revenus progressivement à leurs rôles naturels de redistributeurs : la prospérité des entreprises minière doit rayonner sur l’habitant, cela se fera petit-à-petit. Nous avons décidé d’exonérer de taxes tous les petits commerces (ils le sont tous à Zouérate)et de reprendre en gestion directe tout ce qui appartient à la Mairie. Les populations démunies bénéficient désormais d’assistance régulière et conséquente.
Mais le travail en profondeur a visé la pacification des rapports entre la force ouvrière qu’elle soit régulière ou saisonnière, et les employeurs. En résolvant ce problème social, de grands équilibres ont été retrouvés et la fracture sociale qui a causé tant de dégâts s’est considérablement rétrécie. Tout ça en quelques mois. Nous croyons que nous sommes sur la bonne voie, avec notamment l’ouverture de passerelles de concertations permanentes entre les citoyens et leurs élus. Ce qu’il faut ici, c’est réhabiliter la valeur du travail et restaurer la confiance entre l’encadrement administratif (Administration et Mairie) et la population. C’est en bonne voie.
Je fais partie personnellement d’une génération qui donne le mieux d’elle-même quand elle se trouve devant plusieurs défis et qu’elle se bat sur plusieurs fronts. Surtout quand l’objet de la bataille est le bien-être de notre population de Zouérate ou de Fassala, de N’Diago ou de N’Beyket Lahwash.
Vous devez savoir que les retombées de l’accord de pêche profitent aux populations mauritaniennes, non seulement en terme d’opportunités de travail ou encore par l’apport financier substantiel généré, mais aussi par ces 2% prélevés sur le pélagique et gracieusement distribués aux démunis des bidonvilles de Nouakchott et de Nouadhibou, à ceux de Bir, de Bassiknou, de Boghé, de Gouraye, de Kankossa, de Moudjéria, de Tiguind.
Nos détracteurs nous accusent de «trop tirer sur la ficelle pour arracher le plus à nos partenaires et que pour cela on risque de rompre la ficelle». Heureusement que l’époque où le négociateur mauritanien s’empressait de signer pour les dessous de table est révolue. Heureusement que le temps où notre pays signait de toute manière parce qu’il n’avait pas le choix, car contourné est révolue. Aujourd’hui, c’est le professionnalisme des négociateurs, leur compétence et c’est la possibilité pour la Mauritanie de traiter d’égal à égal avec ses partenaires qui dérangent les sceptiques. Rassurez-vous, quoiqu‘il en soit, désormais rien ne sera plus comme avant.
La Tribune
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