Si le tracé d’une ligne séparatrice entre deux espaces est souvent fruit
de la volonté d’une supra-autorité; l’histoire de cette limite
géographique, l’ interaction qu’elle produit, la néo-mobilité qu’elle
engendre, le déni ou l’ appropriation qu’elle suscite sont quant à eux
uniquement du ressort des populations vivant de part et d’autre de cette
démarcation » imposée » ou » naturelle.
En exagérant à peine on pourrait avancer que l’influence des décideurs d’un découpage spatiale va rarement au delà du geste de scindement, c’est adire que ce sont les populations qui subissent la frontière qui a elles seules vont lui confectionner son histoire. L’analyse qui suit se propose de voir en quoi la frontière tout en étant fermeture peut être aussi ouverture.
D’emblée, il apparaît qu’une limitation, en partageant un lieu en deux, produit automatiquement » l’ici » et » l’ailleurs ». En cela déjà elle force le positionnement par rapport a une présence géographique et humaine: l’altérite est mise en marche.
C’est sur cette nouvelle configuration spatiale et conceptuelle que vont aller se greffer de nouvelles représentations sociales et identitaires, tantôt latentes tantôt clairement affichées selon le mode relationnel inter groupe initialement établi (posture d’affiliation; antagonisme, dépendance, allégeance…)
En quoi la pose de frontières peut elle redéfinir les perceptions de soi et d autrui dans un système hiérarchisé ? Quelles mécanismes de rupture ou prolongement sont mis en jeux pour investir ce nouveau cadre géographique et ses répercutions sur les lignes de démarcation statutaires? Comment vit-on une restriction de mouvement quand on a un statut social déjà « restreint »?
Les attitudes sont elles dans l’évitement ou plutôt dans l’instrumentalisation? Quelques éléments de réponses peuvent être trouvés en suivant la trame narrative de harratines vivants dans des adwabas ou village d’esclave de la région du hodh echarghi, en zone frontalière entre la Mauritanie et le Mali.
Les localités ciblées se trouvent toutes dans la commune de Adel Bagrou dans la frange sud de la RIM à une dizaine de km de la frontière. Il s’agit de trois villages, Nebka, Jrana et Dellaha, habités par des groupes de haratines qui en se présentant, s’affilient directement aux tribus Mechdhouv et Oulad Bouhemed.
Une première observation menait à un tout premier constat: il y’ avait eu un avant et un après rectification de la ligne frontière entre la Mauritanie et le Mali pour ces harratine, qui n avait pas été sans une reformulation des structures relationnelles internes si ce n’est au niveau statutaires du moins au niveau de l’auto identification chez ces groupes. Pour une meilleure appréhension de ce phénomène un petit aperçu historique sur les enjeux de « remodelage » territorial ne saurait être superflu.
Dans les années 1930, une certaine agitation se fait sentir au sein de l’administration coloniale française, en rapport avec une réorganisation des frontières des colonies. La Mauritanie officiellement rattachée à l’AOF par le décret du 4 décembre 1920, allait devenir dés les années 1935-1937, un espace à redéfinir d’urgence du moins dans ces bordures avec le Soudan ou la politique sécuritaire, objectif premier de sa colonisation, tardait à donner ses fruits.
Les effets de la transhumance des tribus maures dans les cercles relevant du soudan ont très vite été perçus par les autorités coloniales comme facteurs de tension déstabilisant une géopolitique globale de « surveillance » plutôt que d’intendance.
Il fallait donc encadrer les, mouvements de ces population en les inscrivant dans le temps et dans l’espace. Les permis de nomadisation des années 40 allaient être une première mesure restrictive et « limitative », qui se révélera être insuffisante puisque les textes la réglementant non prohibitifs et non consacre dans les faits étaient considérés par les nomades comme des sanctions aux manquements de paiement d’impôt et autre taxes coloniales ;
d’ où un mécontentement indigène constant tout aussi perturbateur et donc contraire aux attentes de l’entreprise coloniale. Il était devenue nécessaire donc d’envisager une réorganisation territoriale avec une limite « séparante », injonctive, plus à même de sauvegarder une pacification encore tâtonnante.
Devait s’en suivre une certaine ébullition administrative autour du nouveau tracé qui allait cantonner des populations aux origines diversifiées et dont les relations entre elles ont toujours été une intermittence entre antagonisme et complémentarité. Les autorités coloniales mesuraient amplement le caractère inextricable des liens unissant les maures et les populations du soudan, tant sur le plan économique et politique que culturel et spirituel.
D’ailleurs l’une des plus grosses craintes coloniales était cristallisée autour de ce dernier aspect, l’emprise spirituelle du hamallisme mouvement confrérique doté de soubassements rebelles à l’intrusion coloniale. Or les hamallistes se trouvaient justement de part et d autre de la zone frontière entre les deux colonies, ce qui leur procurait une certaine liberté de, mouvance physique et une amplitude de circulation des idées qu’ils véhiculaient ; pas toujours au gout des colons.
Cet état des choses devait entraîner donc une certaine remise en cause du découpage coloniale dans la région du Hodh qui dés 1942 va connaitre des oscillations politiques tantôt dans le sens du maintien des lignes frontalières en renforçant la Chape sécuritaire ; tantôt en changeant radicalement l’interface coloniale dans une optique géostratégique.
Ce deuxième choix allait être adopté le 5 juillet 1944 avec la rectification de la frontière soudano-mauritanienne et le rattachement des hodhs à la Mauritanie. Mais cette décision coloniale ne se fera qu’après un long et houleux processus qui fut un le point de convergence de toutes sortes de contradictions administratives ; de dynamiques locales intergroupes. A l’instar de sa colonisation ; l’unification du pays maure sera faite donc dans la foulée d’un souci de sûreté d’une politique coloniale.
Sil est vrai qu’en parlant de frontières, le premier aspect qui revient est celui de la territorialité ; il n en est pas moins vrai que l élément population est simultanément interpellé. Ainsi ; les 288440km qui échurent a la Mauritanie étaient agrémentés de 118441 habitants.
Parmi eux une grande composante haratine ; terme générique pouvant designer à la fois esclaves et anciens esclaves vivant soit en cohabitation avec leurs maîtres ; soit lotis dans des villages localement appelés Adwaba et qui signifie littéralement village d’esclaves. Quelles ont été les conséquences dune telle décision sur ces harratines ; qui vivaient déjà une frontière spécifique, intra-sociale ?
Il est intéressant de préciser que ces groupes haratines en passant de l’autre coté de la frontière pouvaient avoir l opportunité d une réelle rupture, physique et géographique, avec leurs maîtres et de ce fait entrant dans un nouveau statut, celui de liberté; du moins dans la pratique. Ce choix fut très suivi par un grand nombre d’entre eux qui coupa les liens en s’inscrivant dans une nouvelle posture statutaire et identitaire.
Cependant d’autres choisirent de rester côté mauritanien. Eux aussi allaient entamer une reconstruction de leur affiliation sociale et leur auto perception. Une reformulation qu’ils engageront d’eux même, à une époque où les discours au label « droits de l’homme » n’existaient pas encore.
Ces haratine transformeront la norme sociale à leur avantage sans conflits ouverts avec leurs anciens maîtres. Mais avec une nette démarcation du lien habituel, sur la base d’un mode de vie nouveau, la sédentarisation. Avant la « rectification », le rapport maître esclave dans cette région du pays se déclinait dans sa forme la plus classique, avec le même code que l’on pouvait observer un peu partout dans le pays.
Un esclavage donc essentiellement domestique avec une forte activité pastorale. Il est utile de préciser que les esclaves et harratine étaient en surnombre par rapport au restant de la population ainsi remarquait-on une poussée de villages d’esclaves ça et là, plus ou moins en rupture avec les campements bydhan. La rectification de frontière influera de façon conséquente sur certains rapports sociaux comme le démontreront les récits de ces habitants d’adwabas.
Mais auparavant, fallait- il se demander quelle était la perception que ces groupes se faisaient de l’espace ? À travers leur discours ressortait aisément une perception méridienne de la spatialité en ce sens qu’ils se positionnaient toujours pars rapport à un axe nord/ sud. La superficie, l’étalement géographique n’était pas appréhendé en termes d’étendue en longueur et largeur mais selon une conception de descente et de remontée cyclique. Les migrations de types saisonnières se faisaient en un glissement vers les régions de Nara, Yelimane…
Ces déplacements étaient entrepris par ces haratines en vue d offrir leurs services d’ouvriers agricoles aux propriétaires de champs maliens. A les écouter cette mobilité se faisait selon un ordre « naturel » et n’était pas pensée en terme de migration, même éphémère.
En fait il ne s’agissait selon eux que d’un prolongement de leur espace et cela que ce soit avant ou après la « rectification ». D ailleurs à propos de cette dernière, ils répondaient avec de légères variations que pour eux le sens de la frontière nouvelle se cantonnait dans le fait que l’établissement des documents officiels s’en trouvait transféré à Nema. Pour le reste ni le Mali/Soudan, ni la Mauritanie dans leur grande territorialité n’avaient de sens palpable pour eux.
Leur « pays » était la zone couverte par leur migration en yo-yo. Ce déni de limites tranchait de façon spectaculaire avec l’usage des conséquences du tracé de cette frontière qui se révélera par la suite, à d’autres niveaux de la narration. En effet, cette nouvelle donne va modifier leur rapport au bydhan, non pas sur le plan de l’allégeance/obédience et du sentiment d’appartenances, mais se fera sentir plutôt dans de nouvelles attitudes ou posture par rapport à la dépendance économique.
Or le cordon matériel alimentant l’essentiel du rapport dominant/dominé, la résultante de ce changement sera un relâchement général de la structure relationnelle Bydhan/ Haratine dans cet espace. Il est utile de préciser que ce changement, à aucun moment ne fut présenté sous une rétractation par rapport aux repères statutaires initialement établis, les fixations de l’ossature sociale furent plusieurs fois abordées sans aucune forme de rébellion discursive.
L’auto définition comme Harratine revenait souvent et même les désignations « abid » ehel vlan par exemple. Cependant l’exercice même de cette « frontalité » nouvelle, aura pour première incidence l’expérience de l’Ailleurs comme lieu de rupture avec un mode traditionnel ou le travail était du, et attendu.
L’idée que l’on pourrait édifier est que la limitation de la mobilité dans l’espace a changé la nature des migrations qui obéira à d’autres impératifs qui n’ont plus rien à voir avec la recherche de puits et pâturage. En effet de par et d autre des deux bords, de nouveaux rattachements identitaires se sont mis en place, la surveillance sécuritaire est accrue, « l étrangéité » se glisse de plus en plus dans les interstices des représentations identitaires fictives ou fondées.
Les mouvements prennent un rythme cyclique, on ne se rend plus de l’autre coté juste pour vendre une vache ou acheter quelques sacs de mil, on rassemble les objectifs, on les périodise.
La notion de bouger dans l’espace rejoint celle de bouger dans le temps. Non pas que par le passé ces populations n’aient pas connu de migration saisonnière, mais la nouveauté est l’intégration de la « Frontière-Ailleurs » ou l’on se rend pour en revenir et devant la difficulté relative certes mais récente, de s’y rendre la nécessité d’y faire un « tir groupé »l.
Aussi viendra par la suite la nécessite de transférer certains activités auxquelles l’on s’adonnait périodiquement dans une autre sphère, vers le milieu d’origine. La sédentarisation partira de là pour les trois villages. Les savoir-faire et les compétences sont introduits dans les pratiques quotidiennes.
L’agriculture, la teinture, le stockage des grains…se feront dés lors localement. Ainsi les harratines deviennent producteurs des denrées et services que les maîtres et anciens maîtres allaient chercher au Sud. La dépendance n’est plus unilatérale. C’est aux haratine qu’on acheté le grain auparavant fourni par l’autre côté de la frontière.
A partir des années 50, les villages d’esclaves fleurissent, l’autonomie dans l’espace est soutenue par ces activités. Les anciens maîtres, s’ils continuent à se présenter encore au moment des récoltes avec un sac à la main, n’en sont pas moins convaincus que leur autorité s’est considérablement relâchée…petits à petits ces visites aux edebays s’espaceront.
Les villageois resteront seuls maîtres de leurs productions et de leur autonomie. De facto. La rectification aura été appropriée par les groupes haratines qui dans un mouvement plus ou moins volontaire vont investir l’espace et faire évoluer, de façon relative certes, mais nouvelle par ailleurs, le rapport de force qui prévalait entre eux et les fractions auxquelles ils étaient rattachés. les villages cités sont aujourd’hui des bourgades autonomes, avec une relative suffisance alimentaire.
Les maux dont ils souffrent encore sont avant tout le manque de plan éducatif réel prenant en compte leur particularité et la rareté des opportunités économiques dans leurs environs immédiats. Les haratines du Sud/Est ne sont pas la grande masse statique que l’on croît. Ce sont des individus et groupements extrêmement mobiles quant à l’investissement des moindres ouvertures de leur statut et condition sociales.
Mariem Mint Baba Ahmed
En exagérant à peine on pourrait avancer que l’influence des décideurs d’un découpage spatiale va rarement au delà du geste de scindement, c’est adire que ce sont les populations qui subissent la frontière qui a elles seules vont lui confectionner son histoire. L’analyse qui suit se propose de voir en quoi la frontière tout en étant fermeture peut être aussi ouverture.
D’emblée, il apparaît qu’une limitation, en partageant un lieu en deux, produit automatiquement » l’ici » et » l’ailleurs ». En cela déjà elle force le positionnement par rapport a une présence géographique et humaine: l’altérite est mise en marche.
C’est sur cette nouvelle configuration spatiale et conceptuelle que vont aller se greffer de nouvelles représentations sociales et identitaires, tantôt latentes tantôt clairement affichées selon le mode relationnel inter groupe initialement établi (posture d’affiliation; antagonisme, dépendance, allégeance…)
En quoi la pose de frontières peut elle redéfinir les perceptions de soi et d autrui dans un système hiérarchisé ? Quelles mécanismes de rupture ou prolongement sont mis en jeux pour investir ce nouveau cadre géographique et ses répercutions sur les lignes de démarcation statutaires? Comment vit-on une restriction de mouvement quand on a un statut social déjà « restreint »?
Les attitudes sont elles dans l’évitement ou plutôt dans l’instrumentalisation? Quelques éléments de réponses peuvent être trouvés en suivant la trame narrative de harratines vivants dans des adwabas ou village d’esclave de la région du hodh echarghi, en zone frontalière entre la Mauritanie et le Mali.
Les localités ciblées se trouvent toutes dans la commune de Adel Bagrou dans la frange sud de la RIM à une dizaine de km de la frontière. Il s’agit de trois villages, Nebka, Jrana et Dellaha, habités par des groupes de haratines qui en se présentant, s’affilient directement aux tribus Mechdhouv et Oulad Bouhemed.
Une première observation menait à un tout premier constat: il y’ avait eu un avant et un après rectification de la ligne frontière entre la Mauritanie et le Mali pour ces harratine, qui n avait pas été sans une reformulation des structures relationnelles internes si ce n’est au niveau statutaires du moins au niveau de l’auto identification chez ces groupes. Pour une meilleure appréhension de ce phénomène un petit aperçu historique sur les enjeux de « remodelage » territorial ne saurait être superflu.
Dans les années 1930, une certaine agitation se fait sentir au sein de l’administration coloniale française, en rapport avec une réorganisation des frontières des colonies. La Mauritanie officiellement rattachée à l’AOF par le décret du 4 décembre 1920, allait devenir dés les années 1935-1937, un espace à redéfinir d’urgence du moins dans ces bordures avec le Soudan ou la politique sécuritaire, objectif premier de sa colonisation, tardait à donner ses fruits.
Les effets de la transhumance des tribus maures dans les cercles relevant du soudan ont très vite été perçus par les autorités coloniales comme facteurs de tension déstabilisant une géopolitique globale de « surveillance » plutôt que d’intendance.
Il fallait donc encadrer les, mouvements de ces population en les inscrivant dans le temps et dans l’espace. Les permis de nomadisation des années 40 allaient être une première mesure restrictive et « limitative », qui se révélera être insuffisante puisque les textes la réglementant non prohibitifs et non consacre dans les faits étaient considérés par les nomades comme des sanctions aux manquements de paiement d’impôt et autre taxes coloniales ;
d’ où un mécontentement indigène constant tout aussi perturbateur et donc contraire aux attentes de l’entreprise coloniale. Il était devenue nécessaire donc d’envisager une réorganisation territoriale avec une limite « séparante », injonctive, plus à même de sauvegarder une pacification encore tâtonnante.
Devait s’en suivre une certaine ébullition administrative autour du nouveau tracé qui allait cantonner des populations aux origines diversifiées et dont les relations entre elles ont toujours été une intermittence entre antagonisme et complémentarité. Les autorités coloniales mesuraient amplement le caractère inextricable des liens unissant les maures et les populations du soudan, tant sur le plan économique et politique que culturel et spirituel.
D’ailleurs l’une des plus grosses craintes coloniales était cristallisée autour de ce dernier aspect, l’emprise spirituelle du hamallisme mouvement confrérique doté de soubassements rebelles à l’intrusion coloniale. Or les hamallistes se trouvaient justement de part et d autre de la zone frontière entre les deux colonies, ce qui leur procurait une certaine liberté de, mouvance physique et une amplitude de circulation des idées qu’ils véhiculaient ; pas toujours au gout des colons.
Cet état des choses devait entraîner donc une certaine remise en cause du découpage coloniale dans la région du Hodh qui dés 1942 va connaitre des oscillations politiques tantôt dans le sens du maintien des lignes frontalières en renforçant la Chape sécuritaire ; tantôt en changeant radicalement l’interface coloniale dans une optique géostratégique.
Ce deuxième choix allait être adopté le 5 juillet 1944 avec la rectification de la frontière soudano-mauritanienne et le rattachement des hodhs à la Mauritanie. Mais cette décision coloniale ne se fera qu’après un long et houleux processus qui fut un le point de convergence de toutes sortes de contradictions administratives ; de dynamiques locales intergroupes. A l’instar de sa colonisation ; l’unification du pays maure sera faite donc dans la foulée d’un souci de sûreté d’une politique coloniale.
Sil est vrai qu’en parlant de frontières, le premier aspect qui revient est celui de la territorialité ; il n en est pas moins vrai que l élément population est simultanément interpellé. Ainsi ; les 288440km qui échurent a la Mauritanie étaient agrémentés de 118441 habitants.
Parmi eux une grande composante haratine ; terme générique pouvant designer à la fois esclaves et anciens esclaves vivant soit en cohabitation avec leurs maîtres ; soit lotis dans des villages localement appelés Adwaba et qui signifie littéralement village d’esclaves. Quelles ont été les conséquences dune telle décision sur ces harratines ; qui vivaient déjà une frontière spécifique, intra-sociale ?
Il est intéressant de préciser que ces groupes haratines en passant de l’autre coté de la frontière pouvaient avoir l opportunité d une réelle rupture, physique et géographique, avec leurs maîtres et de ce fait entrant dans un nouveau statut, celui de liberté; du moins dans la pratique. Ce choix fut très suivi par un grand nombre d’entre eux qui coupa les liens en s’inscrivant dans une nouvelle posture statutaire et identitaire.
Cependant d’autres choisirent de rester côté mauritanien. Eux aussi allaient entamer une reconstruction de leur affiliation sociale et leur auto perception. Une reformulation qu’ils engageront d’eux même, à une époque où les discours au label « droits de l’homme » n’existaient pas encore.
Ces haratine transformeront la norme sociale à leur avantage sans conflits ouverts avec leurs anciens maîtres. Mais avec une nette démarcation du lien habituel, sur la base d’un mode de vie nouveau, la sédentarisation. Avant la « rectification », le rapport maître esclave dans cette région du pays se déclinait dans sa forme la plus classique, avec le même code que l’on pouvait observer un peu partout dans le pays.
Un esclavage donc essentiellement domestique avec une forte activité pastorale. Il est utile de préciser que les esclaves et harratine étaient en surnombre par rapport au restant de la population ainsi remarquait-on une poussée de villages d’esclaves ça et là, plus ou moins en rupture avec les campements bydhan. La rectification de frontière influera de façon conséquente sur certains rapports sociaux comme le démontreront les récits de ces habitants d’adwabas.
Mais auparavant, fallait- il se demander quelle était la perception que ces groupes se faisaient de l’espace ? À travers leur discours ressortait aisément une perception méridienne de la spatialité en ce sens qu’ils se positionnaient toujours pars rapport à un axe nord/ sud. La superficie, l’étalement géographique n’était pas appréhendé en termes d’étendue en longueur et largeur mais selon une conception de descente et de remontée cyclique. Les migrations de types saisonnières se faisaient en un glissement vers les régions de Nara, Yelimane…
Ces déplacements étaient entrepris par ces haratines en vue d offrir leurs services d’ouvriers agricoles aux propriétaires de champs maliens. A les écouter cette mobilité se faisait selon un ordre « naturel » et n’était pas pensée en terme de migration, même éphémère.
En fait il ne s’agissait selon eux que d’un prolongement de leur espace et cela que ce soit avant ou après la « rectification ». D ailleurs à propos de cette dernière, ils répondaient avec de légères variations que pour eux le sens de la frontière nouvelle se cantonnait dans le fait que l’établissement des documents officiels s’en trouvait transféré à Nema. Pour le reste ni le Mali/Soudan, ni la Mauritanie dans leur grande territorialité n’avaient de sens palpable pour eux.
Leur « pays » était la zone couverte par leur migration en yo-yo. Ce déni de limites tranchait de façon spectaculaire avec l’usage des conséquences du tracé de cette frontière qui se révélera par la suite, à d’autres niveaux de la narration. En effet, cette nouvelle donne va modifier leur rapport au bydhan, non pas sur le plan de l’allégeance/obédience et du sentiment d’appartenances, mais se fera sentir plutôt dans de nouvelles attitudes ou posture par rapport à la dépendance économique.
Or le cordon matériel alimentant l’essentiel du rapport dominant/dominé, la résultante de ce changement sera un relâchement général de la structure relationnelle Bydhan/ Haratine dans cet espace. Il est utile de préciser que ce changement, à aucun moment ne fut présenté sous une rétractation par rapport aux repères statutaires initialement établis, les fixations de l’ossature sociale furent plusieurs fois abordées sans aucune forme de rébellion discursive.
L’auto définition comme Harratine revenait souvent et même les désignations « abid » ehel vlan par exemple. Cependant l’exercice même de cette « frontalité » nouvelle, aura pour première incidence l’expérience de l’Ailleurs comme lieu de rupture avec un mode traditionnel ou le travail était du, et attendu.
L’idée que l’on pourrait édifier est que la limitation de la mobilité dans l’espace a changé la nature des migrations qui obéira à d’autres impératifs qui n’ont plus rien à voir avec la recherche de puits et pâturage. En effet de par et d autre des deux bords, de nouveaux rattachements identitaires se sont mis en place, la surveillance sécuritaire est accrue, « l étrangéité » se glisse de plus en plus dans les interstices des représentations identitaires fictives ou fondées.
Les mouvements prennent un rythme cyclique, on ne se rend plus de l’autre coté juste pour vendre une vache ou acheter quelques sacs de mil, on rassemble les objectifs, on les périodise.
La notion de bouger dans l’espace rejoint celle de bouger dans le temps. Non pas que par le passé ces populations n’aient pas connu de migration saisonnière, mais la nouveauté est l’intégration de la « Frontière-Ailleurs » ou l’on se rend pour en revenir et devant la difficulté relative certes mais récente, de s’y rendre la nécessité d’y faire un « tir groupé »l.
Aussi viendra par la suite la nécessite de transférer certains activités auxquelles l’on s’adonnait périodiquement dans une autre sphère, vers le milieu d’origine. La sédentarisation partira de là pour les trois villages. Les savoir-faire et les compétences sont introduits dans les pratiques quotidiennes.
L’agriculture, la teinture, le stockage des grains…se feront dés lors localement. Ainsi les harratines deviennent producteurs des denrées et services que les maîtres et anciens maîtres allaient chercher au Sud. La dépendance n’est plus unilatérale. C’est aux haratine qu’on acheté le grain auparavant fourni par l’autre côté de la frontière.
A partir des années 50, les villages d’esclaves fleurissent, l’autonomie dans l’espace est soutenue par ces activités. Les anciens maîtres, s’ils continuent à se présenter encore au moment des récoltes avec un sac à la main, n’en sont pas moins convaincus que leur autorité s’est considérablement relâchée…petits à petits ces visites aux edebays s’espaceront.
Les villageois resteront seuls maîtres de leurs productions et de leur autonomie. De facto. La rectification aura été appropriée par les groupes haratines qui dans un mouvement plus ou moins volontaire vont investir l’espace et faire évoluer, de façon relative certes, mais nouvelle par ailleurs, le rapport de force qui prévalait entre eux et les fractions auxquelles ils étaient rattachés. les villages cités sont aujourd’hui des bourgades autonomes, avec une relative suffisance alimentaire.
Les maux dont ils souffrent encore sont avant tout le manque de plan éducatif réel prenant en compte leur particularité et la rareté des opportunités économiques dans leurs environs immédiats. Les haratines du Sud/Est ne sont pas la grande masse statique que l’on croît. Ce sont des individus et groupements extrêmement mobiles quant à l’investissement des moindres ouvertures de leur statut et condition sociales.
Mariem Mint Baba Ahmed
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