Depuis ces dernières années, la crise que traverse l’école mauritanienne n’a cessé de faire couler beaucoup d’encre et de salive pendant que les pouvoirs publics se limitent à de simples déclarations de bonnes intentions. Or l’état de délabrement actuel de notre système éducatif requiert d’abord un diagnostic sans complaisances loin de toutes les querelles idéologiques et l’élaboration de stratégies pédagogiques claires et objectives qui répondent à nos valeurs culturelles mais aussi aux exigences du IIIe millénaire.
Rappel historique
L’école moderne a été introduite en Mauritanie au début du XXe siècle par l’Occupant après la pacification. Cet enseignement colonial, comme partout ailleurs en Afrique, avait des objectifs plus idéologiques que pédagogiques. L’école devait d’abord remplir le rôle de « mission civilisatrice » que le colon s’était assigné pour « faire bénéficier à ces peuplades sauvages les bienfaits des sciences et des techniques ». Ensuite, elle devait former, par une sélection rigoureuse, des auxiliaires subalternes (interprètes, moniteurs d’écoles, infirmiers…) nécessaires au fonctionnement de l’administration naissante. Cet enseignement élitiste destinée dans un premier temps aux fils de chefs, n’a pas suscité un réel engouement de la part des mauritaniens qui le considéraient comme une entreprise d’évangélisation. C’est ainsi qu’il a été sévèrement concurrencé par une école traditionnelle séculaire (la mahadra) qui symbolisait le rejet de la politique d’assimilation ou d’association chère aux théoriciens de la colonisation. C’est ainsi que jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les écoles françaises en Mauritanie se limitaient à quelques villes comme Kaédi, Boghé, Rosso, Boutilimit, Kiffa en dépit des efforts déployés par la métropole pour les vulgariser davantage. Au moment de l’indépendance, la Mauritanie était le parent pauvre du système éducatif colonial.
Après l’indépendance, un système éducatif presque calqué sur celui de l’ancienne métropole a été adopté. En 1967, une reforme introduisant l’Arabe dès la 1ère année du fondamental, est instituée. Elle sera suivie par celle de 1973 qui accorde plus de place à l’enseignement de l’Arabe. Celle-ci est née dans un contexte marqué par une réelle volonté des autorités d’alors d’affirmer notre indépendance culturelle et même économique (nationalisation de la MIFERMA, création d’une monnaie nationale). Jusque-là, l’enseignement dispensé aussi bien en Arabe qu’en Français était de qualité. Les conditions de vie et de travail des enseignants étaient plus ou moins bonnes ainsi que le niveau des élèves. La reforme de 1979 est venue inaugurer une « ère de politisation » de l’école mauritanienne en instituant deux filières, l’une arabe, l’autre bilingue. Ce dualisme a porté un sérieux coup à l’unité et à la cohésion de notre peuple mais aussi à la qualité même de l’enseignement. La reforme de 1999 a corrigé ce dualisme mais n’a pas apporté des réponses adéquates au problème de la qualité de l’enseignement s’inscrivant ainsi dans la même logique d’improvisation.
C’est ainsi qu’à l’heure actuelle, notre école s’apparente plus à une « garderie d’enfants » qu’à un lieu d’apprentissage. Quels sont les problèmes qui handicapent son essor et les solutions qui s’imposent pour la sortir de l’impasse ?
L’état des lieux
Le principal obstacle à l’épanouissement de notre école est paradoxalement crée par ceux-là même qui ont la lourde tâche de la piloter tant au niveau central qu’au niveau régional. En effet, les ministres, les directeurs centraux, les directeurs régionaux qui se sont succédé depuis l’indépendance se sont enfermés dans une tour d’ivoire ignorant les véritables acteurs du secteur (enseignants, élèves et parents d’élèves). En outre, « le principe de la sanction et de la récompense » n’est souvent pas appliqué créant un sentiment de frustration quasi-généralisé chez les professionnels du secteur. En effet, comment peut-on expliquer que 51 ans après l’indépendance, aucun décret ne fixe les critères de promotion et d’affectation ? Celles-ci sont donc soumises à la bonne humeur des hauts responsables de l’éducation qui n’hésitent pas, par de simples notes de services, à placer leurs proches dans des postes de directions où ils administrent leurs collègues pourtant plus anciens qu’eux. Commet peut-on expliquer que dans un établissement public, le directeur, les directeurs des études, les surveillants généraux, les surveillants et même les plantons appartiennent tous à la même tribu ? Cela aurait été constructif si ceux-ci étaient animés d’une réelle volonté de servir l’école publique avec loyauté et dévouement. Mais ce n’est souvent pas le cas : A titre d’exemple, au lycée d’Aleg, le personnel d’encadrement qui compte une pléthore de directeurs des études, de surveillants généraux et de surveillants brille par sa quasi-absence livrant professeurs et élèves à eux-mêmes. Dans cet établissement où je sers depuis bientôt 4 ans, aucun conseil des professeurs ne s’est tenu ! On ne sait pas qui est qui et qui fait quoi ? On voit plutôt des gens apparaître un instant pour disparaître à jamais sans crier gare. En plus, un mois après l’ouverture officielle, des centaines d’élèves rebroussent chemin chaque matin faute d’enseignants mais aussi faute de stratégie claire et prompte d’évaluation des besoins avant le démarrage de l’année scolaire. Sinon, à quoi sert-il de décréter l’ouverture officielle des classes si l’on sait au préalable qu’aucune disposition pratique n’est prise pour que cette rentrée soit effective. La politique d’improvisation a atteint un paroxysme tel que même les mises en scènes auxquelles on nous avait habitués n’amusent plus. De tergiversations en tergiversations, on est arrivé au stade de l’immobilisme. C’est dans ce cadre qu’il faut signaler au passage la dissolution pure et simple de la 2e année technique ouverte l’année passée par on ne sait quel décret. Les élèves de cette classe ont été priés tout simplement de rentrer chez eux après trois semaines de va-et-vient infructueux. A qui profite ce sabotage organisé ? Qui trompe qui ?
Parallèlement à cela, des centaines de classes du fondamental restent sans maîtres d’arabe ou de français selon les zones sans qu’aucune mesure urgente ne soit prise pour juguler ce ₺déficit₺. Pour colmater les brèches, on recrute à la volée des contractuels sans niveau et sans formation selon des critères peu orthodoxes. Les postulants sont sélectionnés en fonction de leur filiation, de leur appartenance familiale, tribale, régionale ou de leur allégeance à tel ministre, de tel général ou de tel DG. Pendant ce temps, des centaines d’enseignants formés vaquent à leurs occupations personnelles (commerce, transport) sous la protection de leurs directeurs tout en continuant à bénéficier de leurs salaires et de leurs indemnités. L’Etat paye des agents qui ne lui rendent aucun service ! La lutte contre la gabegie ne doit-elle pas passer par là ? Peut-on s’attendre à de bons résultats là où des institutions de la République sont assimilées à des « khaïma » ou à des « cases » ? Bien sûr que non ! Le résultat ne s’est pas fait attendre : baisse sensible des niveaux, médiocrité, banalisation de l’école et de tout ce qu’elle symbolise, forts taux d’échecs scolaires, déperdition etc.
Pendant ce temps, des enseignants chevronnés qui traînent derrière eux plus de deux décennies d’expérience, sont relégués au second plan voire immergés dans un océan d’injustices. Dans tous les pays où la bonne gouvernance est une priorité, les promotions et les affectations obéissent à des critères pédagogiques préalablement définis (ancienneté, notes administratives, notes d’inspection etc.) que le ministère de tutelle est tenu d’appliquer car l’institution scolaire doit être mise à l’abri des querelles politiciennes, des contradictions raciales, ethniques, tribales et familiales. C’est en ce moment qu’elle jouera pleinement son rôle de pépinière du citoyen modèle, du patriote sincère qui placera l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus de toute autre considération.
Ce diagnostic de notre école n’est peut-être pas exhaustif mais pourrait contribuer à la recherche de voies et moyens nous permettant de sortir de l’impasse. Le pouvoir en place, les partis politiques, les organisations de la société civile (syndicats, ONG intervenant dans le secteur, APE) doivent conjuguer leurs efforts afin d’élaborer « un plan Marshall » destiné à tirer notre école du gouffre. Des remèdes existent mais il faudrait un minimum de volonté pour se faire soigner. Que de propositions avancées pour finir dans les tiroirs des décideurs ! Où en est l’application des conclusions des Etats généraux de l’éducation et de la formation ? L’avenir de notre pays dépend en grande partie de l’intérêt qu’on accorde au secteur de l’éducation car comme l’affirme un pédagogue : « dis-moi quelle école tu as, je te dirai quel pays tu es ».
Dia Abdoulaye
Professeur
camadia6@yahoo.fr
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