samedi 18 août 2012

Gourel Fally : fort risque d’affrontements intercommunautaires

La réinsertion des rapatriés mauritaniens du Mali et du Sénégal ne va pas sans poser de problèmes. Passé les accueils triomphants et les battages médiatiques, les rapatriés se trouvent confronter à de nombreuses difficultés : récupération des terres et des maisons, accès à l’état-civil. Les anciens déportés vivent toujours dans la précarité et le dénuement. Tout mouvement de protestation suscite une colère noire des responsables de l’ANAIR. Revenues au bercail, les populations attendent, toujours, de recouvrer leurs biens. Un rapport de mission du collectif « Touche Pas à Ma Nationalité » (TPMN) tire la sonnette d’alarme et dénonce les lenteurs et les atermoiements des autorités qui feignent d’ignorer un problème qui peut, du jour au lendemain, dégénérer en tensions interethniques. Abdoul Birane Wane, coordinateur du Mouvement TPMN, a fait part, lors d’une conférence de presse, du drame vécu par les habitants de Gourel Fally. Le rapport accable les autorités, jugées responsables de leur calvaire. Gourel Fally se situe dans le département de Kankossa, dans la région de l’Assaba. Selon le chef du village Kolomba Fally, né en 1947, Gourel Fally date de bien avant sa naissance. Ses grands-parents furent les premiers à défricher ces terres inaccessibles. Premiers sur les lieux, ce n‘est qu’après les évènements de 1989 qu’ils ont constaté la fondation de villages aux environs de Gourel Fally, par des populations venues occuper leurs terres, après leur déportation. Le rapport mentionne, ici, que tous les habitants de la localité, sans exception, ont été déportés, en 1989, vers le Mali et ont, ainsi, connu l’exil, pendant plusieurs années. Narrant les péripéties de ce drame collectif, Abdoul Birane Wane indique que, vers la fin de l’année 1996, ces mauritaniens réfugiés au Mali ont été rapatriés, par le HCR, avec l’accord, tacite, du gouvernement mauritanien raciste. Retour dans la quasi-clandestinité, donc, le « mooyto koota », et les candidats au retour n’ont jamais vu respectées les promesses qui leur avaient été faites alors. A la place de leurs biens que les autorités avaient promis de restituer, « chaque membre des vingt-cinq foyers que comptait le premier convoi que nous composions reçut un montant de 5 000 francs CFA, une couverture, une natte, 60 kilos de mil, quelques kilos de lait, de thé et de sucre, accompagnés d’une fiche de rapatrié. Nous avons passé les mois de juin, juillet et août 1996, à Tafara, un village malien ». Selon l’ANAIR, 138 personnes ont été rapatriées. D’après Kolomba Fally, le triple de ceux qui ont été rapatriés sont restés au Mali, faute de garantie d’une vie meilleure en Mauritanie. Selon le chef du village, ils n’ont retrouvé que les terrains où se dressaient leurs maisons, déjà démolies, sous leurs yeux, avant leur déportation, et sont repartis les mains vides. On compte, parmi les rapatriés, 64 enfants, âgés de 6 à 12 ans, qui n’ont pas eu la chance, en cette année 2012, d’aller à l’école située à cinq kilomètres du village. Gourel Fally a, pourtant, trouvé son premier instituteur mais il n’a jamais pu enseigner, faute de locaux. Pour se soigner, les habitants sont obligés de parcourir six kilomètres pour se rendre à Garrala, à travers rivière et forêt. Après les déportations, les harratines des villages environnants se sont approprié les terres cultivables de Gourel Fally. « S’y sont ajoutés des harratines venus du Mali », rapporte le chef de village. À leur retour, les Peulhs ont trouvé leurs terres occupées par les uns et les autres, avec la complicité des autorités locales. Selon le chef du village, le HCR les a trahis et accords tripartites n’ont jamais été appliqués : aucun engagement n’a été respecté. En cet hivernage 2012, la communauté harratine a encerclé Gourel Fally et cultive jusqu’à cinquante mètres des cases peulhs, ce qui oblige les habitants à cantonner leur bétail dans un espace très réduit. La rivière, qui constituait l’unique source d’eau où s’abreuvaient bêtes et gens, est devenue inaccessible aux habitants de Gourel Fally qui craignent d’entrer en conflit avec les cultivateurs haratines de Garalla, armés par les autorités. Ceux-là leur ont déjà promis la guerre, faisant savoir que « cette fois, le village ne sera pas déporté mais transformé en cimetière… » D’après le chef du village, quatre ans se sont écoulés à faire, incessamment, la navette, entre la localité et Kankossa, pour se plaindre, auprès des autorités qui observent une indifférence totale, face à cette épineuse question. L’ancienneté de Gourel Fally est confirmée par les récits des vieux qui ne connaissent que lui, le cimetière où reposent leurs aïeux, les vestiges et débris attestant que Gourel Fally est un des premiers villages qui ont vu naître Kankossa, son chef-lieu de département, et les frontières de la Mauritanie tracées par le colon. Ceux qu’on appelle « moyto koota » rejettent cette appellation, puisqu’ils ont étés rapatrié par le HCR, à partir du Mali, et reçus par les autorités mauritaniennes. Cri d’alarme Cette population oubliée demande, à TPMN et à toutes les autres organisations de défense des Droits humains, de tirer la sonnette d’alarme pour attirer l’attention du monde entier sur leurs conditions de vie depuis le rapatriement. « Ils ont décidé de nous réduire en cendres, avec la complicité des autorités locales, et sont armés. C’est pourquoi nous demandons de l’aide au monde juste », s’exprime Moussa Bourang Diallo, habitant de Gourel Fally. Un précédent rapport avait été rédigé par les rapatriés de Woriguel, Kankossa et Gourel Fally. Adressé á l’Etat mauritanien, á la commission chargée de la restitution des terres et aux organisations internationales, le 18 mars 2010, il est, à ce jour, resté lettre morte. Le chef du village s’y exprimait ainsi : « Il y a déjà deux jours que je suis parti me plaindre auprès du préfet de Kankossa mais ce dernier n’a fait qu’augmenter le lourd fardeau que nous traînons. Ce n’était pas la première fois et l’on s’attendait à cette réponse ». Yero Ba évoque une « situation d’urgence », pour des habitants en situation « précaire ». Selon le rappeur du groupe « Minen Teye », membre de TPMN : « Les habitants de Gourel Fally ne sont toujours pas recensés, n’ayant pas reçu les papiers qu’on leur avait promis à leur retour. Ils n’ont pas d’école, pas de maisons viables et vivent en terrain inondable. […] Ces peulhs revenus chez eux n’ont, pour seule ressource, que leur bétail. Comme nous l’avons tantôt souligné, c’est une population composée, en majorité, d’éleveurs et d’agriculteurs. Ils ne disposent d’aucune infrastructure d’équipements sociaux. A Garalla, on compte un centre de soins, une école primaire avec cycle primaire complet, une mosquée, etc., alors que la fondation de ce village est bien postérieure à celle de Gourel Fally où l’on ne voit qu’une mosquée, en très mauvais état. Le village ne dispose que d’un seul puits dont l’eau est salée et d’une rivière, déjà occupée par les cultivateurs de Garalla. […] Le cas de Gourel Fally n’est que l’illustration de l’occupation, planifiée par l’Etat raciste, des terres de la vallée qui ont toujours été propriété des Négro-mauritaniens ». Risque non négligeable de conflit armé Le risque de confrontation est grand. Cette situation n’est qu’une bombe à retardement : une fois que les plantes auront poussé, la confrontation deviendra inévitable, entre les éleveurs peulhs et les Haratines venus cultiver à quelques dizaines de mètres des maisons de Gourel Fally. L’Etat raciste sera responsable de tout conflit dans cette localité. Et les habitants de Gourel Faly sont encore plus lésés par les recensements discriminatoires et racistes », tonne le collectif. Le secrétaire général du FOrum NAtional des Droits de l’Homme (FONADH), Sarr Mamadou, assure : « Nous suivons le cas de Gourel Fally depuis qu’ils sont revenus. J’y vais tous les trois mois, depuis plusieurs années, car leur cas est symbolique et critique ». Le FONADH aurait mobilisé le HCR et les autorités administratives, en vain, là encore. « Au moment du retour, le préfet avait délimité les terres à partir d’un cours d’eau. Quand ce hakem est parti, le nouveau a donné l’autorisation – l’ordre ? – aux Harratines de tout clôturer. Nous en avions averti le gouverneur et le hakem qui sont spécifiquement derrière ce problème », révèle Sarr. « Aujourd’hui, nous faisons en sorte, avec Boubacar Ould Messaoud, de SOS-Esclaves, qu’il y ait un dialogue intercommunautaire, avec le projet en commun « appui à la terre et aux revendications des déportés de retour », ajoute le dirigeant du FONADH qui souhaite que les cœurs et les esprits des communautés concernées s’apaisent, pendant qu’une solution est recherchée. « Si l’on ne trouve pas de solutions consensuelles, il y a un risque non-négligeable de conflit armé, d’autant que l’administration se fiche complètement du problème. Et cela ne devrait pas être, avec à peine un vingtième des terres arables aménagées de la vallée ! », assène Mamadou Sarr. Revenant à la charge, Abdoul Birane Wane martèle : « Gourel Fally doit être le point de départ pour dénoncer le problème des terres, de plus en plus aigu et critique. Les risques de guerre sont plus actuels qu’on ne le pense ». Synthèse Thiam Mamadou www.cridem.org Source : Le Calame (Mauritanie) |

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