mardi 14 décembre 2010

Paroles d’Experts : Père Jérôme, prêtre et militant associatif à Nouadhibou.




1- En tant que militant associatif et de surcroit prêtre installé à Nouadhibou, ville de transit et de destination des migrants, que pensez-vous de la migration irrégulière ?

Il est évident qu’on ne peut en aucun cas valider ce genre de migration. Ce que j’appelle la migration clandestine, pose un grand problème, car c’est un véritable cas de conscience qui se pose à nous en tant que militants associatifs mais surtout en tant qu’homme avant tout, car ce sont généralement des personnes qu’on a côtoyés, qui nous quittent dans ces pirogues pour ne plus revenir et pour ne jamais arriver à destination.

Quand ils reviennent, c’est sans vie, dans une posture que les mots ne peuvent pas décrire. Et ca nous fait mal au cœur. C’est que j’en pense, c’est que c’est quelque chose de dramatique et d’inhumain.



2- Que pensez-vous de l'intégration des migrants dans la société mauritanienne ? Les obstacles, les rejets ?

Au niveau de Nouadhibou, le problème de l’intégration ne se pose pas comme obstacle pour les migrants. En général ils travaillent dans le domaine de la maçonnerie, de la pêche traditionnelle ou industrielle, dans les maisons pour les femmes. Même s’il est vrai que pour les migrants issus de pays anglophones, la langue pose un grand problème d’intégration. Un problème qu’ils arrivent par la suite à résoudre grâce à l’aide de leurs autres compatriotes présents ici depuis quelques années.

L’autre problème, c’est le problème que les migrants rencontrent souvent avec leurs employeurs. Il arrive que souvent ils ne soient pas payés ou qu’ils soient accusés de vols et dans certains cas emprisonnés sans couverture juridique qui leur permet de se défendre. Dans ce cadre, ils sont très vulnérables et c’est une brèche qui est souvent exploitée par les employeurs, même si les associations des migrants font parfois de leur maximum pour défendre les droits de ces migrants.

3- Quels sont, d'après vous, les raisons de la migration irrégulière ? Comment peut-on résoudre ce phénomène en amont (migration/développement par exemple) ? Et en aval, croyez-vous que l'aspect répressif peut à lui seul résoudre le problème ?
Bon vous savez les raisons sont celles que nous connaissons tous : la pauvreté, les guerres, l’injustice sociale et politique…Le cas du demandeur d’asile camerounais que vous avez rencontré, contraint de quitter son pays pour des raisons politiques, alors qu’il vivait bien, est une preuve que la pauvreté elle seule n’est pas la raison de la migration. Beaucoup sont aujourd’hui migrants malgré eux, et beaucoup ne veulent pas aller en Europe.

Il ne faut pas se tromper, ceux qui migrent le font parce qu’ils sont contraints, c’est la seule façon pour eux de sauver l’honneur, c’est tout qui leur reste, personne ne veux quitter sa famille, son pays, pour aller mourir en mer. Mais la conjugaison de plusieurs facteurs négatifs font que la seule issue qui leur reste, c’est de faire l’aventure, et c’est vraiment triste.

Et ce n’est pas en réprimant ces gens, en les empêchant de partir qu’on règle le problème, loin de là. Il reste entier sans mesures d’accompagnements, sans traitement à la base.

4-Vous avez certainement été témoin de certains cas de migrations irrégulières qui ont mal finis, quels sont ceux qui vous ont le plus touché ?

Attendez, je vais vous montrer certaines images qui parlent d’elles-mêmes (le père Jérôme nous montre des images de migrants morts en tentant la traversée. Pour information, elles vont être diffusées dans le reportage sur la vie des migrants que l’OIM va bientôt produire). Ceux que vous voyez sur ces photos sont tous des personnes que j’ai connues et que j’ai côtoyées.

Certains d’entre eux travaillaient même avec nous ici à la mission. Nous étions très proches, je les considérais comme des frères et soudainement ils ont disparus. Je me rappelle de l’un d’eux qui était parti pour faire une course et qui nous a été ramené sans vie, sur une civière, complètement inerte, un crabe était logé dans sa bouche, je ne pouvais pas décrire ma stupeur et ma tristesse.

5- Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans le militantisme contre la migration irrégulière ?

Chaque fois on m’appelait pour venir identifier des corps de migrants morts noyés dans la mer. C’est devenu tellement récurrent pendant un certain temps que je me suis dit que je ne suis pas là pour enterrer mes frères. Je suis là pour les aider à trouver le bon chemin, pour les confesser de leurs péchés, mais pas pour les enterrer. C’est ainsi que je me suis décidé à militer contre l’immigration clandestine qui était en train d’emporter tous nos frères. C’était de mon devoir de conseiller et de convaincre les jeunes africains qui viennent ici à Nouadhibou, d’éviter de prendre les pirogues pour aller trouver la mort de manière suicidaire.

6- Vous dispensez des formations aux migrants dans le domaine de la cuisine, de la couture, de l’informatique… Pourquoi cela ?
Justement c’est pour offrir à ces jeunes la chance de se former pour avoir du travail et subvenir à leurs besoins dans l’espoir que cela les amènent à renoncer à tenter l’aventure périlleuse, mais on le fait d’abord par devoir humain envers nos frères. Je suis convaincu qu’il faut se tourner vers la formation pour endiguer le phénomène de la migration irrégulière qui nous saigne et qui nous prive de notre jeunesse en Afrique.

6- En conclusion, un mot qui résume en global votre point de vue de ce phénomène, de ses implications et de ses conséquences.Pour conclure je dirais tout simplement que l’ensemble des acteurs dans le domaine de la migration doivent prendre au sérieux ce problème et essayer de trouver les remèdes qu’il faut. Cela passe d’abord par la formation, par les opportunités d’emplois, par le développement local… Et non pas par la répression ou l’occultation pure et simple de ce phénomène. On ne peut pas rester indéfiniment les bras croisés devant cette tragédie qui, chaque jour, prend de nouvelles proportions.

Propos recueillis par Momme Ducros, Assistant Programme Information et Communication à l’OIM Mauritanie.


www.cridem.org

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