mardi 19 avril 2016

64 % des écoles mauritaniennes ne répondent pas aux normes


« Notre école a été créée il y a quinze ans sans qu’aucun de ses élèves ne puisse dépasser le cap du deuxième cycle. Faute de pouvoir poursuivre leurs études (structure pédagogique incomplète) nos enfants retombent inévitablement dans l’ignorance. Ici on est  analphabète de pères en fils » lance Mohamed Lemine Ould Aleya, chef de village de Lemghaitaa Kelelthor.

En effet, l’école de cette localité située à plus de 100 Km au Sud-Est de Tidjikja (capitale régionale du Tagant), ne compte qu’une seule salle de classe où sont entassés des élèves qui suivent des cours dispensés par un enseignant « bilingue »  mal fagoté , ne maitrisant ni l’arabe ni le français, encore moins les techniques et méthodes d’enseignement en classe multigrade.
Ses cours se réduisent, tout au plus, à quelques notions très élémentaires, mal maitrisées.
Ce tableau sombre, dressé par ce quinquagénaire excédé, est malheureusement le lieu commun de 64 % des écoles fondamentales mauritaniennes.
Selon l’annuaire des statistiques scolaires 2013-2014, sur 4296 écoles que compte le pays,  2757 sont des écoles incomplètes qui se trouvent en milieu rural où elles mettent en jeu l’avenir des jeunes écoliers qui, après une année ou deux de scolarité, sont éjectés hors du système éducatif, faute de continuité.
Le  Président de l’Association régionale des parents d’élèves du Tagant M. Mohamed Abdallahi Ould Néné est formel : « La quasi- totalité des écoles du pays n’offre aucune perspective aux apprenants. Je suis persuadé que sans une réforme en profondeur permettant de corriger les dysfonctionnements  liés au non- respect de la carte scolaire et l’inadéquation des méthodes d’enseignement outre l’application rigoureuse de la loi 2001/ 054 portant obligation de l’enseignement fondamental, l’interdiction formelle des mariages précoces et le travail des enfants, nous assisterons, de plus en plus, à la déchéance de l’école mauritanienne, et partant, la généralisation de l’ignorance et ses corollaires : sous-développement, délinquance et crime organisé » soutient-il.
C’est également l’avis de Mustapha Ould Hamady membre de l’Association des parents d’élèves de l’école 3 de Tidjikja qui considère que :  « la crise qui affecte l’école mauritanienne est d’ordre socio-économique : la pauvreté et l’ignorance des parents, l’éloignement ou l’isolement, l’instabilité familiale, la défaillance du système éducatif (l’école n’est plus considérée comme un lieu de promotion sociale) le tout couronnée par la création d’écoles pour  notables, chefs de tribus et chefs coutumiers au nom d’un clientélisme politique aux effets forcément pervers ».
Conscients des menaces qui pèsent sur l’école mauritanienne, les acteurs du monde éducatif  se sont donnés rendez- vous, jeudi 7 avril 2016 à Nouakchott, pour discuter durant trois jours des causes de la déscolarisation et les voies et moyens pour y faire face.
Toutefois, même si les raisons invoquées par les séminaristes (mariage précoce, travail des enfants, analphabétisme des parents, pauvreté et ignorance) sont justes et traduisent une analyse approfondie de la situation, il n’en demeure pas moins qu’ils ont occulté le redoutable phénomène des écoles fantaisistes du Rif qui n’ont d’école que de nom.
L’Etat mauritanien continue d’injecter d’importants moyens (dotation en enseignants, manuels scolaires, tables, bancs, outils de gestion, supports pédagogiques et didactiques, cantines scolaires, etc.)  pour le fonctionnement de ces écoles fantômes qui n’ont, paradoxalement, aucune incidence positive aussi bien sur le taux de scolarisation que sur celui de la rétention.
Les régions de l’Est mauritanien (Hodh El Garbi et Hodh Echargui), celles du centre (Tagant et Assaba) tout comme certaines régions du  nord (Adrar et Tiris Zemmour) recèlent plus de 80 % de ces écoles qui ne répondent généralement à aucune norme. Il s’agit d’un hangar ou d’une tente mais, ce n’est nullement une salle de classe aux dimensions réglementaires.
«  Je suis atterré de constater, à chaque fois que je visite les écoles de brousse, érigées dans des zones enclavées et sans eau potable, que les élèves qui y étudient sont condamnés d’avance à l’échec et à l’abandon » indique Mohameden Ould Ahmedou, inspecteur de circonscription en service dans la commune de Boubacar Ben Amer ( province du Tagant).
Selon ce haut fonctionnaire du ministère de l’éducation nationale ayant requis l’anonymat. « Ces écoles sont érigées aux quatre coins du pays, le plus souvent, avec la complicité d’une administration qui se prête au jeu malsain du clientélisme politique des chefs tribaux, des notables et des opérateurs politiques véreux. Depuis plus de deux décennies, ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et de se propager. En partie, à l’origine de tous les mauvais scores de l’école mauritanienne : faible taux de rétention, baisse drastique des niveaux, taux élevé de déperdition scolaire des filles, ces écoles sont considérées comme des biens personnels, des symboles de prestige, des fonds de commerce utilisés pour justifier le poids politique de telle localité, de telle tribu ou de tel groupe communautaire » devait-il indiquer.
Et comme pour rendre  l’addition encore plus corsée, d’autres facteurs interagissent pour faire monter en flèche la déperdition scolaire en zone rurale. Il s’agit des mariages précoces (en 2015 une classe de 5ème année fondamentale a été fermée dans la localité de Timbrehim (Tagant)  les  filles qui la composent, âgées de 11 à 12, ont été données en mariage) et  de la pauvreté des familles à l’origine du travail des enfants à bas âge.
 Dune Voice

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