mercredi 30 juillet 2014

Boghé : Décryptage du scrutin du 21 juin

Boghé : Décryptage du scrutin du 21 juin
A 4 jours de l’investiture du Président Mohamed O/ Abdel Aziz élu le 21 juin dernier après une campagne électorale marquée par une morosité sans précédent, il est utile de faire un décryptage des résultats de ce scrutin dont l’enjeu principal était le taux de participation.

Dans le département de Boghé, sur les 28 049 citoyens qui étaient appelés aux urnes, 17 494 ont voté soit un taux de participation de 62,37% (source : CENI), un taux jugé élevé comparativement à d’autres circonscriptions électorales où moins de 40% des citoyens n’ont pas jugé nécessaire de faire le déplacement.

Ce chiffre cache cependant d’énormes disparités : S’il frôle les 70-80% dans certains bureaux de la commune de Boghé (comme Touldé, Sayé, Thialgou, Bakaw, Roti, Thidé, Mballadji, Wabboundé), il a atteint à peine les 40% dans la commune de Dar El Avia et certains bureaux d’Ould Birome.

Dans les 32 bureaux de la commune de Boghé, le candidat Mohamed O/ abdel Aziz est arrivé en tête sauf à Bakaw. Il est cependant talonné de près par Ibrahima Moctar Sarr qui conserve son aura dans certains bureaux. « Si le président sortant est passé comme lettre à la poste dans ce fief traditionnel de l’opposition, c’est parce qu’il n’avait pas en face de lui des concurrents de poids », explique-t-on.

Mais il ne faut pas négliger également les efforts de mobilisation consentis par les cadres et hauts dignitaires de l’UPR, des partis de la majorité (PUD notamment) et des mouvements de soutien tels que « Agir pour la République ».

De Thialgou à Boghé Dow en passant par Thidé et Touldé, leur discours est à peu près le même : « Aziz a fait honneur à notre localité en nous accordant tel poste, il a fait des réalisations concrètes (routes, hôpitaux, réseaux d’adduction d’eau), nous devons lui renvoyer l’ascenseur ».

Dans les coulisses, on n’hésite pas faire recours à la solidarité familiale ou tribale : « à travers ma personne, c’est toute notre famille qui est honorée, aidez-moi donc à soutenir celui qui m’a choisi parmi des centaines de personnes ». Ainsi, ces « grands électeurs » qui tiennent coûte que coûte à garder leurs privilèges, ont utilisé tous les moyens pour convaincre les leurs à se ranger du côté du pouvoir « s’ils veulent voir leurs problèmes réglés ».

Durant toute la période de la campagne, les portes de leurs villas cossues étaient largement ouvertes à leurs parents et amis, aux griots et aux laudateurs de toutes sortes, leurs téléphones étaient aussi accessibles à toute personne qui désire les contacter. Ils n’hésitent pas dans les coulisses à promettre monts et merveilles aux associations de jeunes, aux coopératives féminines et aux fonctionnaires qui désireraient obtenir telle ou telle promotion.

Le directoire de campagne bicéphale (celui du candidat est piloté par M. Mohamed Diagana et celui de l’UPR conduit par M. Daoud O/ Ahmed Aïcha) a axé son discours sur « les changements intervenus depuis ces 5 dernières années sous la conduite du Président Abdel Aziz, le bâtisseur, le patriote, le garant de l’unité nationale, de la sécurité intérieure ».

Aucune perspective, aucune promesse pour les cinq années à venir ! En plus, comme l’argent (le nerf de la guerre) « n’a pas coulé à flot », les tentes dressées le long de l’axe principal pour soutenir « le candidat de l’espoir » étaient moins animées que d’habitude. A l’arrivée, des localités qui étaient réputés être des poches de résistance ont basculé du côté du pouvoir.

C’est le cas de Boghé Dow où dans les bureaux de l’Elevage 1, 2 et 30, du lycée et de l’école 6, le candidat Aziz est arrivé en tête avec des écarts de plus de 100 voix avec son principal challenger local Ibrahima Moctar Sarr. De nombreux observateurs attribuent ce revirement au ralliement de l’ex-maire Bâ Adama Moussa qui a décidé début mai de soutenir la candidature du Président Aziz créant ainsi un grand séisme au sein de son (ex ?) parti, l’UFP.

Le ministre Secrétaire général du gouvernement, M. Diallo Mamadou Bathia, qui est l’artisan du ralliement aura réalisé ainsi une des plus grosses prises de l’histoire politique locale. Abdallahi Mouna Sarr dit Alioune, cadre à la direction des domaines a également apporté sa grosse pierre à l’édifice.

Dans les autres villages, les barons locaux ont contribué chacun à sa manière à la victoire du candidat « de la paix, de la stabilité et de la prospérité » :

L’ex-commissaire Diop Ibrahima et son épouse Fatimata Bâ par ailleurs secrétaire fédérale des femmes de l’UPR, Dia Moussa, Bâ Alassane Adama (Touldé), Rabiatou Haidara, Ngaïdé Abderrahmane Hamath (Thidé), Wagne Abdoulaye Idrissa et Yall Zakaria (Thialgou), le député Sow Moctar et Mohamed Barro (Mboon), le Hakem Abdallahi O/ Heymoud, Zoubeïr O/ Maham, Bah O/ Mohamed (Boghé- est) Mohamed El Hady Macina, le maire Dia Hamady, l’ex-général Dieng Ndiaga, Sy Daha, Simakha Bakary (Boghé Escale).

Là, les responsables politiques ont dû faire face à une fronde d’un groupe de jeunes qui s’est fait appeler « Mouvement Y’en a marre » qui proteste contre « leurs promesses jamais tenues ». Ce mouvement dirigé par Souleymane Bocoum a fait beaucoup parler de lui durant cette campagne où il fait l’objet de convoitises. Face à ce qu’ils appellent « un mépris » ou « un manque d’intérêt » à la situation des jeunes, Y’en a marre a dans un premier temps invité ses membres à voter blanc.

C’est à la suite d’une rencontre avec M. Abdallahi Sarr qu’ils ont décidé de revenir « à la raison » non sans contrepartie (offre d’emplois, audience avec le Président de la République à Rosso). Un responsable politique de Boghé Escale s’est insurgé contre cette « immixtion » de M. Sarr dans son fief tout en minimisant la capacité de nuisance de « Y’en a marre ».

« Boghé Escale a toujours voté pour le pouvoir ! Ainsi le candidat Aziz a totalisé dans nos deux bureaux 609 voix sur les 833 exprimés loin devant Sarr et Birame qui ont obtenu respectivement 115 et 91 voix ! » A-t-il expliqué. Signalons enfin, le rôle joué par le mouvement « Agir pour la République » crée en mars dernier dans la foulée des « moubadarates » de soutien à Aziz.

Composé de jeunes cadres dont Kalidou Bâ (coordinateur), Tourad O/ Abeïd El Barka, Mbaye Demba, Mohamed Abdallahi O/ Aziz, Sidi O/ Aboïk, Fatimata Dia, ce mouvement a marqué sa présence par l’ouverture d’un bureau d’orientation des électeurs à Nioly-Carrefour et par l’organisation de soirées pour louer « les réalisations grandioses accomplies par le candidat de l’espoir surtout en direction des jeunes ».

Dans les communes voisines de Dar El Avia et d’Ould Birome, les tendances sont sensiblement les mêmes : le candidat Aziz l’a emporté haut la main avec des scores à la ₺soviet₺ (respectivement 85,98% et 79,13% des suffrages exprimés) mais avec un taux de participation plus faible (respectivement 45,37% et 53,52%).

Les appels au boycott de l’APP qui bénéficie d’une large sympathie dans ces deux communes ont certainement fait écho. En plus, Dar El Avia et Ould Birome qui sont moins lotis en cadres et barons par rapport à Boghé, n’ont pas senti la campagne à cause du manque de moyens matériels et financiers.

Il ne faut cependant pas négliger les rôles joués par les maires des deux communes (Omar O/ Badjeïne et Bâ Abdoulaye), Niang Idrissa (DG de la compagnie sucrière de Foum), Mohamedou O/ Soulé O/ Blal (SG de l’Agence Tadamoun), Ely O/ Abed (Cadre au MS), Mohamed Salem O/ Nagi (suppléant du sénateur) entre autres.

Enfin la commune de Dar El Barka, si le candidat Aziz a fait le plein de voix (1490 sur 2269 SE), Birame O/ Dah O/ Abeïd y a obtenu un score honorable car il arrive en 2e position avec 400 voix. C’est la seule commune où le Président de l’IRA obtient cette position ! Les villages Iralin (Diama, Miftah El Khaïr, El Wiam, Bedr, El Vellouja) lui ont exprimé leur sympathie.

Pourquoi ? Sans doute parce que son directeur de campagne départemental, M. Baba O/ Abeïdallah, est originaire de cette commune où il tisse de liens familiaux notamment à Dar El Barka et à El Wiam. L’autre enseignement du scrutin, c’est la perte de vitesse du candidat Ibrahima Moctar Sarr qui se présente pour la 3e fois. En 2007, il avait fait une percée spectaculaire dans toutes les communes du département de Boghé alors que son parti (l’AJD) venait de naître.

Lors des dernières élections municipales (novembre-décembre), la liste AJD conduite par M. Amadou Tidjane Bâ avait mis en ballotage celle de l’UPR. Cette fois, sur les 16 385 suffrages exprimés du département de Boghé, l’homme au slogan « Ina wona » n’a obtenu que 3258 voix soit 19,88% loin derrière le Président sortant qui a raflé 10 976 voix soit 66,98% des SE.

Comment explique-t-on cette déroute ? Selon les analystes, les pressions exercées par les cadres sur les leurs ont eu raison des valeurs et principes incarnés par l’opposition en général, l’AJD en particulier, qui par son discours populiste axé notamment sur la nécessité de résoudre la question de la cohabitation intercommunautaire, attirait la sympathie de nombreux citoyens de la vallée.

« La politique du ventre l’a emporté sur cette vérité qui reste pourtant intrinsèque », explique un des responsables locaux de ce parti. La baisse de la popularité de Sarr était perceptible même lors des meetings de campagne où les foules ne se sont pas bousculées.

L’écrasante majorité des cadres, notables et dignitaires du terroir a choisi le camp du pouvoir au grand dam de l’avocat de la cause noire qui continue de plaider pour le règlement de la question de la cohabitation par le partage du pouvoir et des ressources, l’officialisation des langues nationales, la restitution des biens spoliés lors des douloureux évènements de 1989, l’égalité des chances pour tous les citoyens. Bref autant de questions qui sont souvent esquivées par les systèmes en place et qui restent donc d’actualité.

Tout en étant convaincus de la pertinence de ces questions, de nombreux citoyens ont opté pour le camp d’Aziz sous la pression de leurs parents (argent, promesses d’emplois, de promotions, d’appuis à telle initiative etc.). Le cas le plus frappant est celui des rapatriés qui avaient organisé en mai dernier une marche de Boghé à Nouakchott pour faire entendre leur mécontentement face au non-respect de l’accord tripartite qui consacrait en 2007 leur retour au bercail.

Malgré leur statut de « réfugiés » dans leur propre pays, ils ont voté massivement Aziz : A Hamdallaye et à Dar Salam Wodabé, Aziz a obtenu respectivement 194 voix sur 228 SE et 304 sur 383 SE alors que M. Sarr n’a recueilli que 44 voix dans ces deux sites ! « Nous n’avons pas encore atteint la maturité politique de certains pays où le citoyen peut choisir le camp de l’opposition tout en jouissant de tous ses droits.

Chez nous, si on n’est pas avec le pouvoir, on n’aura rien »
, cette assertion tenue publiquement par un des soutiens à Aziz lors d’un meeting traduit à elle-seule cette situation abracadabrante ! Comment concilier les intérêts personnels « qui ne peuvent être satisfaites que par le pouvoir » et les préoccupations de toute une communauté ? L’opposition démocratique doit encore prendre son mal en patience car la vraie démocratie a encore de beaux jours devant elle.

Dia Abdoulaye
camadia6@yahoo.fr

1 commentaire:

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