mercredi 1 février 2012
'Région et crise régionale', l'exemple de l'Adrar mauritanien de Moctar Ould El Hacen
À l'heure où se prépare le festival de Ouadane 2012, ceux qui ont un intérêt pour l'Adrar, ne sauraient passer à côté de cet ouvrage. Ses 250 pages imprimées de manière austère rappellent qu'il s'agit d'une thèse ; cette dernière a été soutenue en 1988 à l'Université de Rouen.
Qu'a donc cet ouvrage "académique" pour intéresser le lecteur de 2012 ? Avec la précision d'un médecin légiste, l'auteur fait l'autopsie d'une zone autrefois prospère qui est aujourd'hui, marginalisée. Il dissèque le processus par lequel cette zone de montagnes à été, jusqu'au début du XX° siècle, intégrée dans l'économie de transhumance et le commerce transsaharien de l'espace mauritanien, intégrée dans la culture au point au point d'en faire son identité (Trab Chinguit).
Il démontre comment la colonisation a, dans un premier temps, stimulé le développement d'Atar au détriment de Chinguiti et de Ouadane, Aoujeft ou el Medah ; comment la colonisation, en faisant d'Atar sa plaque tournante restructurant autour d'elle les échanges de l'Adrar, a engendré une dévitalisation de la zone après son départ ; comment les errements des politiques régionales ont transformé une quasi capitale en ville moribonde tout juste bonne à servir de décor au cinéma du Paris-Dakar ;
comment la guerre du Polisario acheva de tuer l'économie pastorale en interdisant les grandes transhumances ; enfin comment la région a pu renaître dans l'imaginaire des mauritaniens qui ont fait de l'Adrar leur zone de villégiature favorite, voire de pèlerinage.
Aussi l'identité de l'Adrar n'est pas à rechercher dans la géographie mais dans la représentation que s'en font les mauritaniens. Le livre identifie les tribus les plus représentées :
• Smacides,
• Ouled ghalaynes,
• Ideychellis,
• Ahel Aidda ouled Ammoni
• Ahel Cheikh Malaïnin
• Torchanes
• Teknas
Mais on trouve au détours de tableaux statistiques également les
• Laghlals,
• Abid Ehel Ethmane
• Teyzeguas
• Idawalis
• Idewelhays
• Ahel Barikalla
• Amgaridj
• Ouled Bousba,
• Reguebat
C'est dire quasiment toute la Mauritanie.
Et c'est en cela que le livre trouve un souffle prémonitoire pour aujourd'hui. Les guetnas dans les oasis, les gueltas dans la montagne, les villégiatures dans les maisonnettes de l'oued Seguelil, Terjit, Toungad et Aoujeft, ont créé une réalité culturelle substantielle digne d'une région touristique internationale. Le premier film mauritanien de l’Indépendance, “Terjit” à la fin des années soixante, a, immédiatement, célébré l’Adrar mauritanien.
Petit traité de désertification sociale
Le livre montre, avec son style impersonnel et ses tableaux de chiffres, comment les gens de l’Adrar ont su déplacer les traits qui les caractérisent à Nouakchott tandis que la région, soumise aux amputations administratives territoriales, victime de la guerre et de ses champs de mines, sombrait dans la marginalisation et la dépression.
On comprend, à cette lecture, que le Sahara est un “Océan” (réfractaire aux frontières) et que les villes du Sahara sont comme des villes côtières : privées de ports de destination elles périclitent. Ainsi, le fait de rendre inaccessibles les foires de Goulimine et de Tindouf à cause de champs de mines, a cassé la dynamique trans-saharienne ancestrale.
Malgré la tentative de déconcentration administrative d’installations militaires et de formation, la volonté de non décentralisation des organes de décision, voulue par Nouakchott, a fait de l’Adrar (mais c’est également vrai pour les autres régions) une zone de sous-développement. Le livre montre comment la réforme territoriale de 1984 a amplifié le mouvement de concentration sur Nouakchott et malgré l’intention affichée d’aménagement du territoire, qui aurait pu dessiner un pays, l’Administration a contribué à la désertification sociale de ses régions.
Renaissance touristique, menace terroriste et résistance
En tant que nomades, les gens de l’Adrar, se sont déplacés avec le centre du pouvoir, vers la nouvelle capitale, Nouakchott. Ils y ont prospéré et avec eux leur imaginaire créé dans l’Adrar. Cet imaginaire a ainsi pu se répandre dans l’esprit de tous les mauritaniens, ceux de Keur Macène, ceux de Boutilimitt, ceux de l’Est et du Tagant.
La richesse culturelle de l’Adrar a trouvé une expression touristique qui pourrait redynamiser cette région déprimée, internationalement connue par le rallye Paris-Dakar, par le film “Fort Sagane” et par les vols réguliers de Point Afrique au début des années 2000.
Mais comme dans toutes les zones déprimées en bordure de mer (la mer du Sahara), la piraterie prend le relai des activités économiques. Le banditisme terroriste a pris le relai de l’Administration pour désertifier davantage l’Adrar et tuer le dynamisme naissant du tourisme dans la région.
Le Festival de Ouadane, ville la plus avancée dans l’Océan de sable, montre la volonté de la Mauritanie de marquer sa souveraineté en pleine guerre contre le terrorisme. On pourrait s’en étonner ; la lecture du livre en donne l’explication dans la culture de l’Adrar, exportée dans la capitale et constitutive, aujourd’hui, de l’identité mauritanienne. Encore une fois, l’imaginaire mauritanien issu de la culture de l’Adrar saura-t-il triompher des forces d’effacement?
L’ouvrage est un livre de référence pour quinconque souhaite se documenter sur la Mauritanie et sur les mécanismes du sous-développement toujours d’actualité. Audelà des analyses chiffrées, on découvrira comment une culture peut triompher de la mort administrative ; comment l’esprit d’une région délaissée peut devenir celui de tout un pays et un symbole de lutte contre les forces d’extinction. Un livre symbole comme l’est le Festival de Ouadane 2012.
Zakaria Ba
VIE, MORT ET TRAGIQUE RENAISSANCE DE L’ADRAR MAURITANIEN
Note de lecture de "Région et crise régionale, l'exemple de l'Adrar mauritanien" de Moctar ould El Hacen, aux éditions universitaires européennes
2011 (ISBN : 978-613-1-56302-7)
www.cridem.org
Source :
Cridem
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