jeudi 24 février 2011

Le Diaagaraf Mboyo intronisé.




Vendredi 18 février, il est 16 heures 30. Plusieurs délégations mauritaniennes, en provenance de Nouakchott, Nouadhibou, Boghé, Sélibaby ont assisté à la cérémonie d’intronisation du Diagaraf de Mboyo. Deux jours de festivités ont marqué l’évènement. Occasion pour le village de renouer avec son passé. Le village de Mboyo est situé à 17 km de Podor, dans l’île à Morphil. Côté mauritanien il se trouve à quelques kilomètres des villages de Diatar, Téssem, Tékinguel, Sintiane Diama, Dar El Barka…

De part et d’autre de la frontière mauritano-sénégalaise, on retrouve les mêmes familles. Le village sénégalais de Mboyo où se déroule la cérémonie d’intronisation, compte un peu plus de 2000 âmes, si l’on en croît les chiffres qui nous ont été communiqués. Les poteaux électriques se dressent fièrement mais l’électricité n'est toujours pas fonctionnelle.

Pour corser ce sombre tableau, l’eau potable aussi se fait désirer de plus en plus à Mboyo. Les populations de cette localité ne savent donc plus à quel saint se vouer.

" On en marre des politiciens qui rivalisent de promesses le temps d'une campagne électorale et nous oublient dès qu'ils ont le dos tourné", peste un habitant du village. Un bémol tout de même, le village dispose d’un collège qui accueille plus de 250 élèves de Mboyo et des villages environnants comme Diama- Alwali, Guédé Wouro Korkadji, Moundouwaye, Diaw, etc. Mboyo, faut-il le souligner, souffre cruellement du manque d'infrastructures et les populations ont l'impression d'être des laissées pour compte.

L’instant de bonheur.


Drapés dans leurs plus beaux atours, hommes, femmes awloubé (Gawlo) du Fouta convergent au domicile de Sileye Baïdi Gadio, futur Diagaraf qui attend son intronisation. Le lieu où se tient cette cérémonie est hautement historique.

La cérémonie d’intronisation, riche de symboles puisés dans l’histoire tumultueuse du royaume de Kolli Tenguella, s’est tenue en présence de Gadio Hamidou Rabi directeur régional de Mauripost à Sélibaby conduisant une imposante délégation mauritanienne venue répondre à l’invitation, Hamet Yéro Sall ressortissant du village de MBOYO, Gadio Mamadou Silèye un notable de grande notoriété ressortissant du village de Tékinguel (arrondissement de Dar El Barka) se trouvant en Mauritanie. On notait aussi la présence de tous les diagaraf de Touldé Dimatt jusqu’à Thilone avec de fortes délégations de Cebbe.

Le village est à quelques encablures de Mboyo situé de l’autre côté du fleuve. Outre la présence de Elimane MBOYO, M. Hamet LY en même temps chef du village on notait celle d’une immense foule à la cérémonie.

A la veille de l’intronisation, des soirées folkloriques ont permis aux plus belles voix du Fouta de rivaliser de talent à travers des chants de Yéla, l’air par excellence des Awloubé, et des Kontimpadjis, ces chants guerriers des Sébés rythmés par les clameurs assourdissantes des longs fusils à poudre, rescapés de temps très lointains et qui, en l’espace de quelques cérémonies, contribuent au spectacle.

Les Awloubé, maîtres d’œuvres de toutes ces manifestations ne seront pas en reste. En effet, la veille du grand jour, c’est à leur tour d’assurer le spectacle avec d’interminables séances de asko (généalogies) qui sans doute sont remontées jusqu’à la genèse de l’humanité. Sans oublier les très belles et élégantissimes chanteuses Awloubé, qui pour l’occasion n’ont épargné ni thioups froufroutant, ni bijoux en or et encore moins les enivrants senteurs d’encens concoctés dans le secret des chambres.

C’est également l’occasion d’en savoir plus sur les différentes catégories qui composent la grande famille des Gawlo. Ainsi découvre-t-on que cette société est très fortement hiérarchisée comme beaucoup d’autres sociétés foutankaises.

Des chants se sont alors élevés à la gloire des familles guerrières et nobles, descendant des anciens rois du Fouta. Pour ne pas être en reste, la réplique de ces dernières au moyen d’une distribution grandiose de billets de banques qui resteront longtemps dans les mémoires.

En dollar, en euro ou en Cfa, les invités de Diagaraf Mboyo, venus de tous les coins de la vallée du fleuve et de l’étranger, ont rivalisé de générosité. Et quand ce sont les Gawlo qui assurent le spectacle, il ne saurait être insipide. Les nombreuses délégations représentant des villages du Fouta, des parents ou des amis, se sont toutes illustrées par la générosité des contributions.

Le FARBA est un maître reconnu dans l’art du asko ou généalogie et du taarik ou l’histoire du Fouta. Spécialiste de la généalogie des Dényankés et des Sébé, ses recherches personnelles l’ont conduit à maîtriser également la généalogie de pas mal de familles.

De sa famille maternelle, le Farba descend en droite ligne de Sey Malal Layal Kouyaté, un des compagnons du 1er Almamy du Bundu Malick Sy. Un héritage qui l’a prédestiné à occuper une place de choix dans le monde des Awloubé. C’est ainsi qu’il a reçu toutes sortes de dons, aussi bien en nature qu’en espèces : voitures, maisons, billets d’avions, etc.

C’est dire la dimension de l’homme unanimement salué comme un maître de la parole, capable par la seule magie de son verbe de pousser des hommes à des actes inconsidérés. A cette folle ambiance électrique, succède la cérémonie elle-même, riche en couleur et accompagnée d’un rituel chargé de symboles.

Tout d’abord, c’est Ousmane Dème dit Thioyri qui prend la parole pour expliquer le programme de l’intronisation. Après une prière, suit l’intronisation. Le Diagaraf est coiffé d’un turban jaune enroulé sur sa tête par Ousmane Dème dit Thioyri au nom de son titre de Diom Mboyo. Puis, Diagaraf Mboyo reçoit de Diom Mboyo une épée et un sabre qui lui sont offerts.

La fin de la cérémonie d’intronisation est marquée par le spectacle ahurissant d’une pluie de billets de banques sous les vivats de la foule, les chants des femmes et surtout des Thiolo, Nalanké, Almoudo Ngaye, Diéguérékéle etc.

Désormais, un nouveau Diagaraf est intronisé et nul n’a le droit de l’appeler autrement que par son titre. D’aucuns disent d’ailleurs que dans les temps anciens, un tel crime pouvait être passible du châtiment suprême.

L’intronisation, un rituel vieux de plusieurs siècles.


Pour rappel, il existait une autorité politique et morale à la tête de chacune des communautés qui vivaient au Fouta: Teine, Ardo, Satigui, Dialtabé, Diome, Farba Gawlo, Farba Bayilo, Diagaraf etc. Ils y avaient une liberté d'expression (plus que verbale) pour les (Thiolo, Nalanké, Almoudo Ngaye, Diéguérékéle etc...). Aujourd’hui encore, il y a dans le Fouta cet équilibre basé sur le respect mutuel.

Le "Matioudo" (ce mot, par ignorance, est traduit en français "esclave") est : celui qui gère et cultive les terres du Roi et celles des grands propriétaires fonciers et la règle de répartition des récoltes s'appelle "Reme-petiéne" ce qui signifie: le propriétaire donne la semence, le cultivateur cultive et surveille le champ jusqu' à la récolte ensuite qu'il soit "Matioudo" ou pas il divise lui même la récolte en deux, il prend une part et amène l'autre part au propriétaire.

C’est aussi celui qui faisait office de garde ou de soldat de l'armée régulière en cas de nécessité. Quant au Diagaraf, il est l'autorité de communauté habilité à exécuter les affaires courantes de la cité. Il est également l’homme qui peut devenir le "bésse" (porte drapeau) qui, s'il tombe au combat (à la guerre), la capitulation devient automatique.

Selon le Doyen d’âge des « Cebbe », M. Abou Kouro Seck originaire du village de Dimatt, le titre de Diagaraf est vieux de plus de cinq cents ans (1501 précisément). Pour sûr, selon les historiens, les premiers titres remontent à la fondation du Royaume des Dényanké en 1500 par un guerrier Manding du nom de Kolli Tenguella.

La naissance de l’une des toutes premières Nations démocratiques au monde, avant même les Etats-Unis d’Amérique, est relatée dans un livre publié aux éditions Ngorjaan Farbaggel en France et intitulé Geyle, Naange wulaa gooto ; Konngol seede Fuuta e fuutankaagal.

Ce livre, entièrement rédigé en pulaar et retranscrit par Mamadou Abdoul Seck, retrace, entre autres, les multiples péripéties qui ont marqué la naissance du Royaume de Kolli Tenguella.

Moussa Diop de retour de Mboyo



www.cridem.org


Source :
Le Quotidien de Nouakchott

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