mardi 1 septembre 2009

Boghé : Une mort tragique aux contours flous


Depuis ces quatre derniers jours, une rocambolesque histoire ne cesse d’alimenter les conversations de rue et de salons. Tout a commencé le jeudi 27 août quand Djeïnaba Nguedj (44 ans), originaire de Sinthiou Garba (Région de Matam, Sénégal) est admise à la Maternité du Centre médical de Boghé pour accouchement.
Le diagnostic ayant révélé une complication de sa grossesse gémellaire, les responsables locaux du CM ordonnèrent son évacuation vers l’Hôpital Régional d’Aleg. Les voisins se sont alors vite mobilisés pour rassembler les frais de transport de l’ambulance pour cette femme étrangère sans ressources qui vit à Boghé depuis près d’un an grâce au maigre revenu que lui procure son métier de femme de ménage. Ils ont même sollicité l’appui de la mairie qui a apporté sa contribution.
C’est ainsi que grâce à cette solidarité manifeste, exemplaire et désintéressée, Djeïnaba est évacuée à Aleg. Là, elle subit aussitôt une césarienne qui, malheureusement a mal tourné. Elle y laissa la vie vers 19 heures à la suite d’une anémie sévère ainsi que les deux jumeaux qu’elle portait. Les voisins qui s’étaient mobilisés pour l’évacuer ont encore fait les mêmes efforts pour ramener le corps de la jeune femme à Boghé sous une pluie battante à bord d’un car affrété gracieusement par Cheikh Guèye.
La disparue et son prétendue mari
Aussitôt après être informé du décès de la femme, le président du Regroupement des ressortissants sénégalais de Boghé qui revendique 33 adhérents, M. Mar Diène Touré appelle les siens pour examiner les mesures à prendre face à cette triste disparition. Coup de théâtre ! La disparue vivait depuis plus d’une année avec un maçon de nationalité sénégalaise qui prétendait être son mari. Salif Fall, c’est son nom, avait noué une amitié avec la jeune femme à Sinthiou Garba pendant qu’il y travaillait dans un chantier. Après la fin des travaux, Salif qui est originaire de Podor, trouva un nouveau chantier à Boghé où la jeune femme est venue le rejoindre aussitôt après "malgré son statut de femme mariée".
Aussitôt après les faits, Salif s’empressa de proposer l’enterrement de "sa défunte épouse" au cimetière de Boghé. Son avis fut balayé d’un revers de main par le bureau du regroupement des ressortissants sénégalais de Boghé qui préféra joindre sa famille par téléphone. Celle-ci exprima le souhait de voir le corps de leur fille rapatrié au terroir pour y être inhumé. Aussitôt, les voisins et les ressortissants ont versé respectivement 140 000 FCFA (78 000 UM environ) et 50 000 FCFA (28 000 UM environ) pour les frais d’acheminement de la dépouille vers son village natal. Peu avant le départ vendredi vers midi, M. Mar Diène informa le commissariat de police de Boghé des circonstances du décès et de leur décision de rapatrier le corps. Il somma aussi M. Salif Fall, le supposé mari de la défunte d’accompagner le cortège funèbre qui arriva à Sinthiou Garba tard dans la nuit. Djeïnaba fut alors enterrée au milieu des siens samedi en début de matinée. Mais auparavant, Mama Fall, frère de Salif qui vit dans ce village depuis de longues années, confia que "son frère qui est auteur de l’enlèvement de cette femme mariée ne devrait pas venir risquer sa vie". Entre-temps, deux proches de la défunte ont tenté de faire arrêter Salif et de porter l’affaire devant la brigade de gendarmerie de Wouro Sogui. Cette proposition fut rejetée par Mar Diène qui estima que l’affaire qui s’est passée en Mauritanie ne doit être traitée que par les juridictions de ce pays et que Salif Fall est placé sous sa responsabilité. Ce dernier qui a failli essuyer une belle raclée n’a dû son salut qu’en prenant la poudre d’escampette pour échapper à la vindicte populaire.
Après les cérémonies funéraires, la délégation des ressortissants sénégalais de Boghé a pris congé de la famille éplorée à laquelle elle a remis une aide sociale. C’est sur le chemin de retour qu’ils ont "ramassé" Salif qu’ils ont embarqué dans leur voiture. Quant au vrai mari du défunt qui vit à Thiès, il serait arrivé dimanche à Sinthiou après le départ de la délégation.
Le vrai mari de la disparue fait irruption
Arrivés à Boghé, M. Mar Diène fait une déposition au commissariat de police sur les circonstances du décès de la jeune femme ainsi que ses "relations douteuses" avec Salif Fall. Là, on lui a fait signifier que sa déposition est irrecevable parce qu’aucune plainte n’a jusque-là pas été déposée par un des membres de la famille de la défunte. Cet avis aurait été partagé par le procureur de la république pour la Wilaya du Brakna qui juge que la plainte du regroupement en tant que personne morale ne peut être recevable qu’au parquet.
Selon des informations de dernière minute, Salif Fall qui aurait mobilisé les siens, se trouve à Nouakchott pour s’éloigner du tintamarre suscité par l’affaire. Mais, le regroupement des sénégalais vivant à Boghé, entend poursuivre cette affaire jusqu’au bout car "notre but est de veiller sur les intérêts matériels et moraux de nos ressortissants", explique Mar Diène Touré qui a même saisi le Consul du Sénégal à Nouakchott, M. Rémond Sylla Dione qui lui a fait part de son soutien.

Cette affaire rocambolesque suscite de nombreuses interrogations en raison de quelques zones d’ombres qu’elle comporte. S’il s’avère que cette femme était mariée, comment à-t-elle pu vivre loin de son foyer ou des siens durant une année sans que personne ne s’interroge sur son sort ? Pourquoi ses parents n’ont pas raccompagné la délégation pour s’enquérir des conditions dans lesquelles elle vivait à Boghé et déposer une plainte contre son faux mari ? Djeïnaba avait-elle rejoint Salif de son propre gré ou celui-ci l’avait-il enlevé ? Si elle est orpheline de père et de mère, elle a des frères, des sœurs, des alliances de toute nature qui auraient pu lancer un avis de recherche à son encontre. On sait tout de même qu’à son arrivée à l’hôpital d’Aleg, Djeïnaba s’était fait enregistrer comme étant l’épouse de son vrai mari, à la surprise de l’une de ses accompagnantes. Dans tous les cas, cette mystérieuse histoire doit être traitée avec toute la célérité requise pour rétablir les bonnes mœurs durement affectées par les effets pervers d’un monde en perpétuelle mutation.

Dia Abdoulaye
Cp. Brakna