vendredi 1 octobre 2010

Tourisme dans le Sahara et le Sahel : Point Afrique jette-il l’éponge ?



Point-Afrique - initiateur des vols sur Gao (1995), Agadez (1996), Atar (1997), la Libye (1999), Tamanrasset (2000), Djanet (2001), Timimoun (2008) se doit, en raison des circonstances actuelles, de stopper net les 4/5e de son activité. Cette décision émane de son Président Maurice Freund qui dans une newsletter (N°39), fait une analyse de la situation sécuritaire dans le Sahara et le Sahel et du bilan de sa société.

« Nous avons perdu une bataille contre AQMI. Pour l’instant, nous devons réduire la voilure», note le président de Point Afrique. Au regard de la situation qui prévaut dans le Sahel, Point-Afrique a décidé de suspendre ses vols en direction de la Mauritanie jusqu’à Noël.

De faire une vérification et un état des lieux en octobre et si les conditions sont réunies, d’approfondir des formations sécuritaires des guides et des chameliers et un renforcement des moyens de communication.

En sus de la suspension des vols en direction de la Mauritanie, Tamanrasset, Djanet et Timimoun(Algérie), Agadez (Niger), Gao (Mali) observeront un arrêt total, d’après Maurice Freund. Par ailleurs, il a annoncé le maintien des activités au sud de Niamey (Niger), Mopti et en pays Dogon (Mali). Maurice Freund fait un bilan de Point Afrique et parle de son avenir dans le Sahara et le Sahel.

Concernant les causes de cette décision, Maurice Freud affirme.

Cette décision draconienne découle de l’accélération ces dernières semaines de la montée en puissance des cellules terroristes au sud de l’Algérie, au nord du Mali et du Niger. Certains de nos confrères ont décidé de maintenir leur offre sur l’Algérie, pour laquelle il est vrai la demande reste encore forte... Sans vouloir nous plier sans discussion aux recommandations des Affaires Etrangères du quai d’Orsay, force est de reconnaître que le danger est devenu démesuré. Bien que téméraire (je l’ai prouvé à maintes reprises), je ne suis pas fou.

Pour avoir été pourfendeur des règles établies et jusqu’au boutiste des causes les plus perdues, force m’est de reconnaître que l’adversaire est d’une dangerosité nauséabonde et les risques incommensurables. Ma déontologie m’interdit de chercher à relever un tel défi!

C’est donc en toute humilité que j’ai décidé que cet hiver Point-Afrique n’ira que là où nous sommes raisonnablement sûrs de la sécurité et où nous sommes protégés par la population locale (ce qui n’est plus vrai malheureusement dans certaines zones spécifiques). Il est en effet impossible de jouer avec la vie des gens, tant ici que là-bas. Et pour la Mauritanie: affaire à suivre!

Une Analyse de la situation.

Le phénomène des prises d’otages a débuté vraiment vers 2003 dans le sud algérien. Une opération menée par Abderrarak el-Para (ancien officier de l’armée algérienne) dont l’adjoint n’est autre qu’Abdelhamid Abou Zeid, l’actuel émir qui opère à la frontière algérienne au nord-est du Mali, dans les montagnes de l’Ifoghas.

Aujourd’hui trois émirs, pas toujours d’accord entre eux, sont les principaux leaders d’AQMI (branche maghrébine d’Al Qaida). Leur chef (Abdelmalek Droukdel) dirige le mouvement depuis la Kabylie. Le quatrième et dernier émir en date, Abdelkrim, surnommé Taleb, est touareg et ancien imam de Khalil au Mali. C’est l’un des rares émirs non algérien et il règne sur un groupe de soixante hommes.

Si la population touarègue dans sa grande majorité n’est en aucun cas complice des terroristes et n’est pas attirée par leur fanatisme religieux, force est de constater que de jeunes touaregs rejoignent cette nébuleuse et lui prêtent main forte (appât du gain? engagement sincère? le choix des motivations est vaste...). Parmi les terroristes tués lors de l’assaut de l’armée mauritanienne au nord du Mali de ces dernières semaines, on dénombre quatre touaregs!

L’un de mes amis, Ag Aroudeni, frère de l’amenokal des Oulmeliden (la plus importante tribu touarègue) m’avoue «ne plus comprendre». Et m’a fait part de son inquiétude, car depuis quelques temps dans sa commune (grande comme cinq départements français!) il voit s’installer des prêcheurs, certains originaires du Pakistan, venus enseigner le salafisme. Leur prêche s’accompagne de construction de puits, d’aide aux populations et bien sûr de la construction de mosquées. Ils ne sont pas terroristes, mais ils en font le lit en instrumentalisant l’Islam à des fins politiques.

Il y a peu de temps, les membres d’AQMI n’étaient qu’une poignée de cent à deux cents hommes. Aujourd’hui ils approchent, voire dépassent les mille combattants... et des cellules dormantes naissent partout!

L’influence d’Aqmi en Algérie, au Mali et au Niger.

Les problèmes sont similaires dans ces trois pays, où les gouvernements n’accordent aucune confiance à leurs ressortissants touaregs (et vice-versa). Alger se méfie du sud, Bamako et Niamey se méfient du nord. Les deux rébellions touarègues de 1990 et de 2007 n’inspirent pas - de part et d’autre - une franche coopération.

Plus grave: les touaregs sont divisés (on les a divisés pour mieux régner?). Certains chefs de ces rebellions se sont vu offrir des postes importants dans les administrations et les ex-combattants de base ont été laissés pour compte. Cela crée des frustrations, de la jalousie, voire de la haine.

Pire: une certaine élite aux gouvernes de ces pays, trempe dans les divers trafics cités. Les sommes d’argent générées sont colossales et chacun y trouve son dû. AQMI joue les «parrains» en protégeant ces activités illégales et prélève sa dîme. Des complicités s’installent.

L’extrême pauvreté et l’absence d’avenir servent de catalyseur aux jeunes pour lesquels il n’y a plus foi, ni loi. En perte d’identité et de dignité, leur haine de l’Occident - vu comme le prédateur de leurs ressources minières - enfle. La présence de nos militaires sur le sol nigérien est ressassée en boucle par les chaînes de télévision. Quelle humiliation pour un pays souverain!

En Mauritanie.

Le cas de ce pays apparaît bien différent. Déjà, il n’y a pas de problème de confiance entre le nord et la capitale. C’est le seul pays où les tribus nomades sont maîtresses de leur destin. S’il est vrai que l’avant-dernier gouvernement avait, pour des raisons d’équilibre politique, une tendance à fermer les yeux, voire à favoriser certains partis prônant un régime islamiste, il n’en est plus de même aujourd’hui. Le nouvel homme fort, le général Aziz, s’est engagé dans une lutte sans merci contre l’intégrisme et ses violences.

Il agit de manière assez efficace en jouant sur trois leviers: la Lutte contre la pauvreté: la mobilisation d’imams, l’armée dispose de véhicules neufs, de stocks de carburants et les consignes sont strictes. Si la totalité du pays n’est pas encore quadrillée, d’importantes zones sont quasi hors de portée d’une quelconque intervention d’AQMI.

Action du Point-Afrique dans l’Adrar mauritanien.

A l’automne dernier, après consultation du Premier Ministre mauritanien, nous avons pu engager- en concertation avec les autorités chargées de la sécurité - une formation de tous les guides de l’Adrar, qui ont été équipés de balises Argos. les échanges d’une heure, au printemps dernier, avec le chef de l’Etat mauritanien, m’ont permis de mesurer l’importance qu’il donne à cette lutte sans merci. Il m’a également confié son souci de voir le tourisme se maintenir en raison de l’impact indéniable de cette activité dans la lutte contre la pauvreté (son autre fer de lance).

Qu’en est-il du devenir de Point-Afrique?

Il n’en reste pas moins que les décisions prises auront un impact économique inévitable sur les hommes et les femmes qui, de ce côté-ci de la Méditerranée, font vivre l’entreprise. Les plus observateurs parmi vous en auront peut-être noté les premières conséquences, telles que la fermeture de nos bureaux de Marseille ou la réduction de l’amplitude horaire d’ouverture de notre agence parisienne. Encore ne s’agit-il là que de signes avant-coureurs d’autres replis à venir - malheureusement inévitables dans la conjoncture actuelle. Nous ne pouvons pas préjuger de l’avenir. A l’heure actuelle, il apparaît fort sombre. Mais nous ne baissons pas les bras.

La situation de l’entreprise reste saine. Nous n’avons pas de dettes, nous ne dépendons pas des marchés financiers. La crise qui couve depuis maintenant plus de deux ans a amoindri notre trésorerie, elle ne l’a pas asséchée - au prix d’une sévère cure d’amaigrissement. Demeure l’envie de continuer à nous battre. Aujourd’hui plus que jamais, il nous apparaît impensable de déserter le champ des relations Nord-Sud et de l’abandonner aux seuls bruits de bottes, aux seuls intérêts cupides qui semblent désormais la marque de fabrique d’une certaine politique française, et plus largement mondiale.

Compte Rendu Dialtabé


Source :
Le Quotidien de Nouakchott

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