dimanche 2 janvier 2011

AQMI : Organigramme, origine et hommes clés (¾ bis) III).




Abdelmalek Droukdel (Abou Moussab Abdelwedoud) a donc pris la tête du GSPC. Dès son arrivé au pouvoir, il entame un échange de courrier avec son "homologue" en Irak, le jordanien Abou Moussab Zarqaoui.

Cette correspondance sera évoquée par le secrétaire d'État Colin Powell, lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. Contrairement à ses prédécesseurs, Droukdel a un goût prononcé pour la communication et la mise en scène. En 2008, il affirme dans une interview accordée au New York Times: "Nos objectifs principaux sont les mêmes qu’Al-Qaïda mère".

Né en 1970 à Meftah (25 km d'Alger) dans une famille pratiquante, il passe son baccalauréat en 1989 et, en même temps, commence à fréquenter assidûment les mosquées et à écouter les prêches de plus en plus radicaux des imams du FIS. Il obtient son bac et s'inscrit à l'université de Blida (40 km de son village natal).

Il continue à suivre les prêches dans les mosquées et se déplace même très souvent à Alger pour fréquenter des imams plus connus. Il rencontre quelques uns des "Bouyaliste" de la première heure, des ultras qui, bien avant la suspension du processus électoral, étaient pressés d'en découdre avec le régime et considéraient la participation aux élections comme une hérésie.

C'est durant ces années qu'il rencontre Saïd Makhloufi et surtout Abdelkader Hatab (l'oncle de Hacen). Le vétéran prend le jeune militant sous son aile mais Droukdel était loin d'imaginer à quel point cette rencontre allait changer sa vie. Peu après leur rencontre, Droukdel fait part, à son mentor, de sa volonté de quitter l'université pour perfectionner ses connaissances religieuses. Abdelkader Hatab lui demande la filière dans laquelle il est inscrit. Droukdel répond : "génie mécanique, option chimie".

La légende raconte que Hatab aurait alors sursauté en lançant, à son jeune protégé "tu es fou ?" ; en effet, l'ancien stratège du groupe Bouyali est bien placé pour savoir que la cause a davantage besoin d'un ingénieur en chimie (capable de confectionner des bombes artisanales par exemple) que d'un énième imam. C'est donc tout naturellement qu'il pousse le jeune Droukdel à poursuivre ses études universitaires.

Le chef terroriste ne s'y trompe pas car dès le début des hostilités entre les islamistes et le pouvoir, Droukdel participe au Djihad en confectionnant des bombes dans les ateliers clandestins. Début 1994, il décroche son diplôme d'ingénieur en génie chimique et part directement rejoindre ses "frères" dans le maquis où il intègre un atelier de fabrication d'engins explosifs, dont il prend la tête quelques mois à peine après son arrivée. Statutairement, il est d'abord membre du MEI dirigé par ses mentors Saïd Makhloufi et Abdelkader Hatab. Il les suivra lorsque les deux lancent, avec d'autre, le GIA.

A l'époque, il est âgé de 25 et n'est pas encore un personnage important du mouvement, mais son ascension est constante. Abdelkader Hatab lui présente son neveu Hacen. Ils sont pratiquement du même âge (Hacen est né en 1967). Dorénavant, la trajectoire de Droukdel sera liée à la progression de Hatab. Il le suivra lorsque celui-ci prendra la tête de Katibatt El Veth puis de l'ensemble de la zone 2. Hacen le nomme responsable de l'ensemble des ateliers de fabrication des bombes avant de lui confier la formation des nouvelles recrues.

Sur un plan doctrinal, Droukdel est proche de la ligne salafiste universaliste et fervent partisan d'un rapprochement structurel avec Al Qaïda. Son niveau universitaire le fait passer pour l'intellectuel de la zone 2, ce qui poussera Hatab à lui confier également la rédaction des communiqués signé "GIA zone 2" et, plus tard, ceux du GSPC. Droukdel commence à prendre réellement de l'importance suite à la destitution de Hacen Hatab, puisque Nabil Sahraoui le choisit pour devenir son adjoint.

Après la mort de Sahraoui et la désignation de Droukdel, ce dernier, un boulimique de travail selon ses proches, met ses connaissances au service de la cause : il est expert en explosifs, il est rédacteur de communiqués et donc propagandiste hors pair et surtout il a une expérience considérable dans le domaine du recrutement de l'endoctrinement des aspirants terroristes. C'est ce dernier domaine qui lui tient le plus à cœur.

Il a besoin de sang neuf pour lancer des offensives à l'image de Zarqaoui, son modèle. Il confie alors à Belmoktar (décidément indétrônable émir de la zone sud) la mission d'ouvrir des camps d'entraînement dans le nord Mali. Il le charge aussi de prendre contact avec les islamistes en Tunisie, au Maroc et en Mauritanie. Et pour finir, il lui demande de tenter de nouer des contacts au Niger et au Sénégal mais sans grande conviction.

Belmoktar remplira toutes ses missions au delà des aspirations les plus optimistes de son chef. Les camps se remplissent rapidement des aspirants au Djihad venus non seulement des pays du Maghreb, mais de toute l'Afrique de l'Ouest.

A titre d'exemple, lors d'un raid franco-mauritanien lancé en territoire malien en juillet 2010, pour tenter de libérer l'otage français Michel Germaneau (celui-ci sera exécuté peu après), les soldats réussissent à tuer six islamistes : un algérien, un marocain, un mauritanien (Abdelkader Ould Ahmednah, alias Ibrahim Abou Merdass) et trois maliens dont deux originaires de l'Azawad. Six terroristes de quatre nationalités différentes.

C'est dire à quel point AQMI arrive, aujourd'hui, à séduire des jeunes issus de différents pays du Maghreb et du Sahel. GSPC : Droukdel, ou Zarqaoui comme modèle Mais pour l'heure nous n'en sommes pas là.

Nous sommes encore en 2005 et Droukdel rêve de mettre en place une grande opération à l’extérieur du territoire algérien, afin de montrer, aux dirigeants d'Al Qaïda, qu'il n'est pas seulement un petit chef de guerre aux préoccupations locales algéro-algériennes, mais bien un grand Moudjahid aux aspirations transfrontalières.

Cette mission sera confiée, là encore, au chevronné émir du sud, Moktar Belmoktar. Depuis le versement de la rançon pour libérer les otages européens en 2003, le GSPC s'est doté d'un armement lourd ainsi que des moyens de transport et de communication conséquents. Belmoktar met en place un commando de 200 hommes lourdement armés, avant de partir à l'assaut de l'armée mauritanienne.

A cette époque, le gouvernement de ce pays avait mis, en prison, la plupart des leaders du courant islamique local. Parmi les détenus figuraient plusieurs modérés mais aussi certains vétérans du groupuscule terroriste El Hassim, qui étaient déjà en contact avec le GSPC. Motif de leurs arrestations : trouble à l'ordre public.

En effet, les islamistes avaient manifesté à Nouakchott, afin de réclamer la rupture des relations diplomatiques avec Israël dont le maintien, en soi, est un motif largement suffisant pour le GSPC, pour justifier une expédition punitive contre la Mauritanie.

Le GSPC commence par diffuser des menaces à l'encontre de ce pays, sur la plupart des forums djihadistes, afin de sommer le gouvernement de rompre, définitivement, les relations diplomatiques avec l'État hébreu.

Le GSPC exige également la libération immédiate et inconditionnelle des islamistes emprisonnés, faute de quoi la Mauritanie subira les foudres du groupe terroristes de Droukdel. Et puis arrive le dénouement inéluctable : le 4 juin 2005 à l'aube, Belmoktar, à la tête de son commando, attaque le poste frontalier de Lemgheïty et ses 60 militaires.

Dix-sept soldats mauritaniens sont tués, une vingtaine est blessée et les autres rapidement maitrisés mais laissés en vie. Bien entendu, les hommes de Belmokhtar s'emparent de l'important stock d'armement et de munitions des militaires mauritaniens : des lance-roquettes RPG7, des kalachnikovs, des mitrailleuses lourdes, un canon anti-char SPG9 de fabrication russe et une dizaine de véhicules 4X4.

Dans les jours qui suivent, le GSPC diffusera des vidéos montrant des terroristes qui paradent avec cet armement alors que, auparavant, les membres du GSPC, dans les films de propagande, se montraient avec seulement des kalachnikovs. L'opération, baptisée "Ghouzouett bedr vi mouritania" en référence à la première bataille du Prophète Mohamed contre les Quraïchites, fait le tour du monde et son écho arrive jusqu'à Zarqaoui. Ce dernier, malgré ses "occupations", tient à saluer la victoire de son "frère" Droukdel. Il charge alors Abou Mayssara, son bras droit, de publier un communiqué en ce sens.

Pour Droukdel, c'est une grande victoire. Zarqaoui est, pour lui, un modèle. Le jordanien qui dirigeait le mouvement "Tawhid wel Djihad" avait réussi à obtenir ce dont rêve Droukdel : le label Al Qaïda. En effet, dans un communiqué publié en octobre 2004, Zarqaoui annonce que son mouvement change de nom pour s'appeler "tanzim Al Qaïda vi biladi ravideïne" (organisation Al Qaïda en Mésopotamie). C'est dire à quel point les félicitations publiques de Zarqaoui vont droit au cœur de Droukdel car elles sonnent, à ses oreilles, comme un encouragement et une incitation à continuer.

Coïncidence ou pas, l'attaque de Lemgheïty intervient deux jours avant le début, au nord du Mali et du Niger, d’exercices militaires conjoints baptisés "Flintlock 2005", organisés dans le cadre de l'Initiative transsahélienne contre le terrorisme et coordonnés par le commandement des forces américaines en Europe. Ces manœuvres ont duré jusqu’au 26 juin 2005 et ont mobilisé 3.000 soldats de huit pays africains, dont l’Algérie et la Mauritanie ainsi que 700 hommes des forces spéciales américaines. A Nouakchott, l'agression du GSPC est vécue, par les services de renseignements mauritaniens, comme une trahison.

A l'époque, un pacte confidentiel de non agression unie la Mauritanie au GSPC depuis que le Général Moulaye Ould Boukhreïss, chef d'état-major de l'armée nationale est parti en 2001, dans le nord de la Mauritanie, afin de prendre un premier contact avec le GSPC, dans le plus grand secret. Ainsi, il est tacitement admis que les hommes de Droukdel se ravitaillent, sur le territoire mauritanien, en carburant et en eau potable et y stockent leurs cargaisons, principalement des kalachnikovs et des cigarettes de contrebande.

En contre partie, le GSPC s'engage à ne jamais établir de camps d'entraînement en Mauritanie à l'image de ceux, déjà opérationnels, au Mali. Naturellement, il n'était pas question de leur demander de s'engager à ne pas attaquer la Mauritanie puisque, à cette date, le GSPC n'avait jamais commis d'acte terroriste en dehors du territoire algérien (même si le GIA, en son temps, s'était attaqué à la France : détournement d'avion, attentats dans le métro parisien... etc).

A partir de cette date et jusqu'à l'attaque de Lemgheïty, les garde-frontières mauritaniens, lorsqu'ils croisaient les combattants du GSPC, se contentaient de fermer les yeux jusqu'à ce que les islamistes finissent de traverser le périmètre, avant de consigner l'évènement dans un rapport à destination du Deuxième Bureau (B2, renseignements militaires), mais sans jamais attaquer ni tenter d'arrêter les hommes de Droukdel. C'est dire à quel point le pouvoir mauritanien de l'époque se sentait immunisé contre le GSPC et, par conséquent, combien le choc lui fût frontal.

Il convient également de donner une brève rétrospective du climat politique mauritanien de l'époque : le 8 juin 2003, le président Ould Taya est victime d'une tentative de putsch qu'il réussit à déjouer. Quelques jours après, il prononce un discours à Zouérate dans le nord du pays (300 klm de Lemgheïty), comme pour s'approcher des terres du GSPC et pour être sûr qu'il sera bien entendu et compris. Dans ce discours, il dénonce une tentative de coup d'État menée par des officiers islamistes.

La presse de l'époque, surtout celle proche de l'opposition, dénonce un amalgame destiné à s'attirer la sympathie et l'aide de l'Occident. Or, rétrospectivement, il convient d'être objectif et de donner raison à Ould Taya car il est établi, aujourd'hui, que le mouvement islamiste mauritanien avait deux faces : l'une idéologique, qui voulait obtenir la reconnaissance d'un parti politique (depuis le début des années 1990) et l'autre militaire qui tentait (au moins depuis la tentative avortée du 28 novembre 2000) d'arracher le pouvoir par la force.

L'auteur de ces lignes a fait partie, à l'époque, de la meute qui a crié au scandale en dénonçant les agissements d'un "dictateur aux abois et en fin de règne". C'est dire combien il peut en coûter de faire un tel aveu mais lorsque l'on s'est trompé, il n'y a nulle honte à reconnaitre son erreur, même si l'on pense qu'il est trop tard car il n'est jamais trop tard pour corriger une erreur.

Quoi qu'il en soit des divergences entre Ould Taya et ses opposants, l'analyse des islamistes algériens était toute autre : si le GSPC s'était engagé, devant le Général Boukhreïss, à ne jamais attaquer la Mauritanie, il était légitime qu'il s'attende, en contre partie, à une parfaite réciprocité. Dès lors que le pouvoir mauritanien avait mis en prison certains militants du GSPC, la guerre était déclarée.

Donc, du point de vue du GSPC, c'est Ould Taya (et non Belmoktar ou Droukdel) qui a rompu la trêve "wel badi adh'lem" (la faute à celui qui a commencé, selon la terminologie GSPCienne). Ce type de raisonnement est symptomatique de l'èthos des terroristes, au sens psychique du terme. Quelques années plus tard, lorsque AQMI subit l'attaque franco-mauritanienne alors que les négociations pour libérer Germaneau étaient toujours en cours, le mouvement terroriste a parlé de "trahison".

Selon les sites djihadistes, AQMI avait demandé la libération des trois responsables des attentats de 1995 à Paris, actuellement détenus en France : Boualem Ben Saïd, Smaïn Aït Belkacem et Rachid Ramda (Abou Farès). AQMI avait dépêché Yahya Abou El Houmam (l'un des lieutenants de Belmoktar) pour négocier avec les mauritaniens mais ces derniers, au lieu de discuter, ont attaqué les islamistes. Peu après, Droukdel annonce avoir ordonné l’assassinat de l'otage, en représailles de cette attaque.

A suivre : "AQMI : Le Maghreb, enfin adoubé par Ben Laden".

Source : Le Calame N°768, du 28 décembre 2010
Hacen O. Lebatt
hacen_o_lebatt@yahoo.fr


www.cridem.org


Source :
Le Calame (Mauritanie

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire